
Sophie L. : « Les citoyens doivent redonner vie à la solidarité »
Sophie L. est assistante sociale dans un conseil général.
Ces États généraux vous semblent-ils nécessaires ?
Oui, car le travail social est en danger. Ces États généraux sont attendus depuis une dizaine d’années(1), mais ils arrivent peut-être trop tard. Avec la décentralisation vers les conseils généraux, le travail social a perdu ses références historiques et philosophiques du devoir d’assistance qui était jusqu’alors garanti par l’État. Ce devoir était un pilier de notre République(2) depuis la Révolution française. Il signifie que les citoyens sont interdépendants et que l’État doit porter assistance aux plus en difficulté afin de garantir la cohésion sociale. Les conseils généraux sont dans des logiques comptables. À chaque échéance électorale, ils doivent justifier qu’ils sont de bons gestionnaires de l’argent public. Cela se traduit par des objectifs à court terme, des comptes à rendre en permanence, des évaluations réalisées par des cabinets d’audit externes. On ne parle plus de travail social, mais d’interventions sociales et de prestations individualisées. On perd les notions de long terme, de travail social collectif, de projets de société et de transformation sociale.
Mais il existe des « bonnes pratiques » et du travail social collectif…
Des « bonnes pratiques » sont diffusées par les revues professionnelles, mais les travailleurs sociaux n’ont plus ni le temps ni les lieux pour réfléchir à leur métier et pour se former. La seule formation dont j’ai bénéficié en 2013 a consisté en une semaine d’apprentissage d’un logiciel pour me permettre de saisir moi-même les données informatisées des usagers ! Il y a plusieurs années, j’ai animé des actions collectives avec des bénéficiaires du RSA. L’objectif était d’apprendre à transformer les épreuves personnelles en épreuves collectives (dans la recherche d’emploi, la gestion du temps ou du budget familial, dans l’éducation des enfants…). Au bout de quatre ans, tout cela s’est arrêté. Aucun de mes collègues n’a repris ces ateliers.
Quelle vision les citoyens ont-ils du travail social ?
Une vision déformée par le discours qui parle d’« assistanat » au lieu de parler du « devoir d’assistance ». Dans de nombreux conseils généraux, alors que les effectifs de travailleurs sociaux diminuent, des services de lutte contre la fraude sociale se développent ! On sait bien qu’elle est minoritaire. Certains conseils généraux ont même des pratiques illégales pour décourager les gens de demander des aides, comme de demander des relevés bancaires sur trois mois pour un dossier de RSA ou les ressources des parents pour un dossier de Fond d’Aide aux Jeunes. Il faut que les citoyens redonnent vie à ce devoir d’assistance qu’on appelle la solidarité.
JCS
Les départements, principaux acteurs de l’action sociale
L’action sociale représente la moitié du budget des départements. Elle concerne l’enfance en difficulté, les personnes handicapées, les personnes âgées et la gestion du revenu de solidarité active.
Depuis les années 1980, l’État a transféré l’action sociale aux départements, dans le double objectif de mieux répondre aux besoins en rapprochant décideurs et bénéficiaires et de développer la prévention. Mais, en passant d’une échelle nationale à une échelle départementale, les modes de travail entre élus et citoyens ne sont pas devenus plus participatifs (même s’il existe quelques contre exemples). Et les politiques de prévention de l’exclusion (pauvreté, vieillesse, handicap) restent très inégales selon les départements.