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Roms, l’envie de vivre (article du journal Feuille de route n°439 – mai 2014)

Retour sur trois mois passés avec nos amis « les Roms de Louvroil », hébergés à l’hôtel entre janvier et mars 2014. Ces trois familles, expulsées de leur campement fin octobre, avaient été hébergées là par la préfecture, en attendant la fin de la trêve hivernale. Elles sont reparties dans l’errance.

Avant de rencontrer des Roms, nous avons avant tout rencontré des personnes. Des personnes en grande difficulté sociale, marquées par un rejet perpétuel, en errance depuis des années.
Nous avons écouté leurs histoires faites d’exclusion, de mise à l’écart, de rejets, d’abord en Roumanie où elles sont sans droits ou presque, puis en France, où le même rejet les a poursuivies, sans doute pas avec les mêmes mots (c’est à voir !), mais avec la même violence.

Nous avons appris et entendu leurs désirs d’être reconnues et respectées, d’avoir un travail, de vivre normalement, de pouvoir se poser pour construire quelque chose de stable. Nous avons entendu aussi leurs envies de nous rencontrer, de parler, de partager leurs difficultés, leurs espoirs, leurs joies, leurs peines.

Bref, nous avons avant tout rencontré des personnes. Nous étions là pour les accueillir et ce sont elles qui nous ont accueillis. Nous avons découvert que la différence de culture, quelquefois marquée et forte, n’empêche pas les liens de se créer.
Nous le savions, mais nous avons vraiment touché du doigt la place des pauvres dans nos sociétés : la queue aux restos du cœur, le manque de tout, la dépendance à ceux qui donnent, la difficulté d’accès aux soins, de se nourrir, mais aussi l’aspiration à la dignité.
Nous n’avons pas réussi à mobiliser les élus, encore moins la population. Mais comment mobiliser des gens qui se bouchent les yeux, qui ne veulent pas voir, ont des a priori et véhiculent quelquefois la haine de l’autre ?
Les a priori ne tombent pas d’un coup de baguette magique.  Ce qui peut aider, c’est de demander aux élus d’avoir le courage d’aller à contre-courant, de ne pas brosser la population dans le sens du poil, bref, de mettre en avant ce qui peut enrichir plutôt que ce qui peut diviser.

Nous avons essayé d’accompagner. Accompagner, c’est aider à faire, à devenir autonome, à se passer de nous. Mais les conditions, la courte période (trois mois, c’est peu), l’urgence dans beaucoup de domaines, ont laissé peu de place à l’autonomie. Accompagner, c’est aussi écouter, être présents, rassurer, donner le moral, prendre la main : nous trouvons que cela n’a pas mal réussi !
Les limites de l’accompagnement se font jour au moment où les décisions ne nous appartiennent plus, mais dépendent de la bonne (ou mauvaise) volonté d’autres. Ces limites apparaissent aussi quand les engagements de certains services de l’État et de certains partenaires ne sont pas respectés.

Quant à nos propres limites, à chacun(e) de les fixer. Ce qui est certain, c’est que rencontrer et découvrir l’autre ouvre un chemin dont on ne voit pas le bout et qui nous engage toujours plus avant. Il faut alors retrouver l’essentiel, prendre du recul, faire le point, parfois marquer des limites. Accompagner n’est pas envahir, ni être envahi.

Nous restons avec nos questions. Quelle place dans notre société pour la différence (de culture, de religion, de manière de vivre…) ? Comment convaincre que la rencontre est source de richesse qui transforme les mentalités ? Comment combattre l’intolérance, le refus de la dignité de l’autre, la haine, le mépris… ? Comment faire entendre aux politiques que leur frilosité, leur volonté de ne pas afficher leurs convictions, non seulement les dessert, mais renforce l’intolérance et le rejet que véhiculent les extrêmes ? Comment faire entendre que c’est d’abord l’homme qui doit être premier, sa dignité, avant toute autre considération ?

Nous avons vécu des moments très forts avec Stan, Luminata, Secret, Caroline, Maria, Cirisel, Maria, Edessa, Loucas. Si c’était à refaire, nous le referions sans hésiter. Même si les relations nécessitent parfois de s’opposer, de dire non, de râler, de remettre à leur place, ce que nous avons vécu est irremplaçable. On est peut-être crevés, mais surtout, on est heureux ; on ne peut les oublier.
Nous poursuivons les liens par téléphone avec eux et avec ceux qui les accompagnent actuellement.

Brigitte et Jean-Marie R. (Cimade, membre du collectif Rom Sambre), 4 avril 2014

Source : http://atdsambreavesnois.wordpress.com/2014/04/09/3-mois-de-proximite-avec-3-familles-roms-hebergees-a-louvroil

Sur la photo : Jean-Marie (Cimade), Luminata, Michèle (ATD Quart Monde)