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Du RMI au RUA : garantir à chacun un minimum de sécurité financière ne suffit pas

Claude Evin, ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale pour évaluer un an de RMI, à Herblay le 07/12/1989 (© Géron/ ATD Quart Monde – Centre Joseph Wresinski 0468 008 072)

Le 1er décembre 1988 naissait le Revenu Minimum d’Insertion (RMI), devenu il y a dix ans Revenu de Solidarité Active (RSA). Retour sur ce dispositif inspiré par l’expérience d’ATD Quart Monde, qui suscite aujourd’hui encore des débats, alors que le gouvernement vient de lancer une concertation sur son « Revenu universel d’activité » (RUA). 

1981, la gauche arrive au pouvoir. Dix ans après la fin des Trente glorieuses, la notion d’emploi pour tous est encore la référence. L’idée est alors courante dans l’opinion – elle l’est encore aujourd’hui – que les chômeurs le sont parce qu’ils refusent de travailler et que l’État n’a pas à les « assister ». Pourtant, c’est aussi l’époque où le nombre de chômeurs explose, tout comme le nombre de personnes sans-abris. C’est dans ce contexte que Michel Rocard, alors Ministre du Plan et de l’Aménagement du Territoire, demande à Joseph Wresinski, fondateur du mouvement ATD Quart Monde une étude allant « au cœur des inégalités extrêmes pour atteindre ceux que la vie économique avait complètement exclus ».

Sous l’impulsion d’ATD Quart Monde, des territoires expérimentent le RMI

A Rennes, sous l’impulsion de son fondateur, ATD Quart Monde lance alors une expérimentation pour un Complément local de ressources, avec l’appui de la caisse d’allocations familiales, la ville de Rennes, la Dass, le conseil général d’Ille-et-Vilaine et la mutualité sociale agricole (MSA). Un revenu minimum est garanti pendant 14 mois à 126 familles très démunies et volontaires pour participer à l’évaluation de l’expérience. Cette allocation dite « de revenu minimum familial garanti » doit leur assurer, hors prestations familiales et aide au logement, 93 % du Smic, plus 5 % par enfant en plus, soit en moyenne 2 549 francs (environ 390 €) par mois. Aucune contrepartie ni aucun suivi social ne sont exigés, mais l’équipe de travailleurs sociaux est entièrement à la disposition des familles qui désiraient faire appel à eux. L’expérimentation sera ensuite élargie à d’autres villes avant que la loi ne généralise le dispositif en 1988.

Un bilan de ces expérimentations sera présenté dans l’Avis présenté par Joseph Wresinski en 1987 au Conseil Économique et Social. En ressort qu’une amélioration de la vie quotidienne s’est produite pour les volontaires ayant participé à l’expérimentation, en particulier par des dépenses plus importantes en nourriture et en vêtements, besoins que les ressources habituelles ne parvenaient pas à couvrir. Beaucoup ont pu régler leurs dettes quand certains ont également pu réaliser des projets attendus depuis longtemps : acheter des lunettes, se faire soigner les dents, entreprendre une formation… Cependant, le nombre de personnes sans travail ne change pas, alors que le souhait des volontaires à l’expérimentation était bien celui d’un emploi et d’un statut de travailleur.

Interviewées à l’issue de ces expérimentations, les personnes y ayant participé insistent sur le sentiment de dignité ou au contraire de dépendance que procure la garantie d’un revenu minimum. Pour les uns, elle représente une libération (ne plus avoir de dettes, ne plus avoir à quémander continuellement des secours ou même de la nourriture, ne plus avoir honte de son dénuement). D’autres craignent l’intervention d’un travailleur social, et pour cette raison ne font pas la demande d’un soutien. D’autres disent vouloir gagner leur revenu, et non le recevoir.

Le RMI : passer du domaine de la charité à celui des droits humains

C’est en s’inspirant de ces expérimentations – notamment celle d’ATD Quart Monde à Rennes – et de l’Avis présenté par Joseph Wresinski en 1987 au Conseil Économique et Social, que Michel Rocard – devenu Premier ministre – a créé le Revenu Minimum d’Insertion, connu aujourd’hui sous le nom de Revenu de Solidarité Active. Ce dispositif marque incontestablement une avancée à plusieurs points de vue : d’ampleur nationale, il s’adresse en priorité à des personnes sans aucune ressource. Si ATD Quart Monde aurait préféré une politique plus globale et plus incluante, qui permette un changement fondamental dans la société, il n’en reste pas moins que sa mise en place a permis de transférer la question de la pauvreté du domaine de la charité à celui des droits humains. Ce tournant législatif montre également que c’est en partant de l’expérience et de l’intelligence des personnes concernées, que des avancées peuvent être faites.

Garantir à chacun un minimum de sécurité financière ne suffit pas

Ce trentième anniversaire ne saurait cependant donner lieu à une quelconque célébration : si ce dispositif apporte une aide essentielle aux personnes les plus exclues, on ne peut se satisfaire que tant de nos concitoyens vivent avec d’aussi faibles ressources, tandis que le volet insertion – préconisé par les associations et repris par Michel Rocard lors de la création du RMI – est resté largement insuffisant. Le RSA porte toujours en lui ce défaut de fabrication originel, en plus d’une complexité des démarches, faisant qu’un tiers des personnes qui pourraient en bénéficier n’en font tout simplement pas la demande. Surtout, force est de constater qu’il n’a pas permis de faire évoluer le regard de la société, restant perçu comme un dispositif qui n’inciterait pas à retrouver du travail, et ses bénéficiaires étant encore trop souvent taxés d’« assistés » et de « profiteurs ». Une idée fausse répandue aussi bien dans l’opinion publique que chez les responsables politiques, alors que le gouvernement actuel prépare la fusion de plusieurs prestations sociales dans un « revenu universel d’activité » – qui n’a d’universel que le nom – dont le versement pourrait être conditionné à la recherche d’un emploi, reniant ainsi l’esprit initial de la loi. 

Pourtant, malgré ses imperfections, le dispositif a le mérite d’exister : il est un ultime filet de sécurité et de solidarité. Mais garantir à chacun un minimum de sécurité financière ne suffit pas. Il faut aller plus loin, afin de permettre à ses allocataires de sortir de la pauvreté et revenir vers l’emploi. Le droit à des moyens convenables d’existence, inscrit dans la Constitution, ne peut être dissocié des autres droits fondamentaux – au logement, à la santé, à l’éducation, à la formation, à l’emploi et à la culture. C’est ce que nous défendrons lors de notre participation à la concertation lancée par le gouvernement sur le futur « Revenu universel d’activité », comme en atteste la tribune signée par ATD Quart Monde aux côtés d’autres associations, qui appellent à un revenu minimum garanti et à une politique globale de lutte contre la pauvreté. 

Emilie Perraudin

Article initialement publié le 30 novembre 2018 pour les 30 ans du RMI et mis à jour le 3 juin 2019