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Rencontre avec Martin Steffens

Martin Steffens est agrégé de philosophie. Il enseigne à Metz au Lycée Louis Vincent, à l’Université Paul Verlaine ainsi qu’en classes préparatoires. Il a accompagné l’édition d’oeuvres de Simone Weil et de Descartes dans la collection Folio Plus Philosophie et a publié en octobre un Nietzsche pas à pas. Il animera lors du colloque de décembre à Paris un atelier sur les sources spirituelles de la pensée de Joseph Wresinski.

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Comment avez-vous découvert la pensée de Joseph Wresinski ?

M.S. : Mes parents connaissent Jean-Claude Caillaux, un volontaire permanent du Mouvement. Il y avait à la maison des livres d’Atd Quart Monde, que j’ai commencé à feuilleter. Lorsque j’ai écrit la présentation des Besoins de l’âme de Simone Weil, j’ai mentionné Joseph Wresinski. Jean-Claude l’a lu et m’a invité à approfondir ma réflexion. Cela m’a mené plus loin que je ne pensais.

Joseph Wresinski serait donc un philosophe ?

M.S. : Ce n’est pas un philosophe dans le sens où sa pensée ne forme pas un système articulé autour de concepts rigoureusement définis. Mais il provoque le philosophe en lui disant des choses aberrantes d’un point de vue philosophique. Par exemple, il dit que les plus pauvres pensent, alors qu’en philosophie, on considère que la pensée est un travail et qu’une expérience de vie ne produit pas en soi une pensée. Cette affirmation nous oblige à nous demander, comme l’ont fait tous les philosophes : « Qu’est-ce que penser ? » Si, comme le disait Alain (1868-1951), « penser c’est dire « non » », si penser c’est refuser ce qui est, au nom de ce qui doit être, alors oui, les plus pauvres pensent, et leur pensée a quelque chose d’irréfutable  : car le « non » qu’ils adressent à leur condition misérable est ici une question de survie. La philosophie se doit à elle-même d’écouter ces hommes en lutte contre ce qui défait leur humanité. Car cette lutte est au principe de toute civilisation et de toute vie humaine possible.

La pensée de Joseph Wresinski interroge-t-elle d’autres philosophes que vous ?

M.S. : Les philosophes ont du mal à se laisser provoquer. Il est normal que cela prenne du temps. Descartes considérait que dans le domaine de l’action, il fallait aller vite, mais que dans le domaine de la pensée, on avait intérêt à prendre son temps. Atd Quart Monde ne se situe pas seulement dans l’action. Le Mouvement veut aussi entraîner les plus pauvres dans la pensée de notre temps. C’est une voie longue.

Quel est pour vous l’enjeu du colloque de décembre ?

M.S. : L’enjeu est à mes yeux de montrer au public et en particulier aux étudiants qu’il y a, avec le père Joseph, quelqu’un qui pense de façon vraiment inédite. Quelqu’un qui affirme, pour reprendre les termes de Jean-Claude Caillaux, que l’on ne doit pas penser pour le plus pauvre, c’est-à-dire à sa place, ni même seulement avec lui, mais à partir de lui. Le préjugé habituel du public est que, derrière cela, se cache un appel à donner de l’argent pour aider les pauvres. On ne soupçonne pas à quel point il y a là, au contraire, un projet de société fondé sur une conception originale du rôle qu’ont à jouer les plus démunis dans la construction du monde de demain. Présenter la pensée de Joseph Wresinski aux étudiants est important, car ce sont eux qui, demain, bâtiront peut-être un monde véritablement humain, qui part des êtres les plus fragiles pour n‘oublier personne. Et puis c’est lorsqu’on est étudiant qu’on se laisse le plus facilement bouleverser.

Propos recueillis par Jean-Christophe Sarrot