Entrez votre recherche ci-dessous :

Refusons que les plus pauvres soient les boucs émissaires de nos inquiétudes collectives

Au moment où repasse à l’Assemblée nationale la Loppsi 2 (loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) qui dans son article 42 Ter rend quasi-automatique l’expulsion des habitants de fortune nous pouvons malheureusement en prévoir les conséquences. Les équipes d’ATD Quart Monde sont en relation avec des familles qui, après avoir été expulsées de HLM pour insuffisance ou irrégularité de revenus, ont réussi à trouver, après plusieurs années, une certaine stabilité de résidence malgré un habitat précaire.

Or, à la suite de ce qu’il est convenu d’appeler le « virage sécuritaire », consécutif au discours du président de la République à Grenoble, le 30 juillet 2010, elles se trouvent aujourd’hui jetées sur les routes sans aucune perspective de solution.

Le mouvement ATD Quart Monde, comme d’autres associations, responsables politiques et courants spirituels de différentes sensibilités, a condamné publiquement les postures de stigmatisation d’individus et de groupes – comme les Roms et les gens du voyage –, qui sont directement contraires à nos valeurs et à l’expérience de vie des plus pauvres.

Ceux-ci nous l’apprennent, en effet : chaque fois que l’on s’en prend de manière ciblée à une catégorie de la population en précarité, c’est inéluctablement aux conditions de vie des plus pauvres dans leur ensemble que l’on porte atteinte. Parmi tous les drames humains dont les médias de notre pays se sont, à juste titre, fait l’écho récemment, celui des personnes et familles qui vivent dans des caravanes ou des mobil-homes, sans l’avoir choisi, n’est pas le moindre.

Ils sont nombreux mais souvent peu visibles ceux que l’irrégularité ou la faiblesse de leurs revenus ont exclus d’un habitat en dur. Ils se font discrets à la campagne, dans des zones périurbaines boisées… Nous connaissons des familles qui vivaient ainsi au même endroit depuis plusieurs années. Elles étaient installées avec l’accord tacite des propriétaires. Parfois elles entretenaient le terrain et partageaient les fruits récoltés. Aujourd’hui, sans même attendre la loi, elles sont chassées parce qu’elles logent en caravane.

UNE PRÉCARITÉ SUPPLÉMENTAIRE

Ces familles, déjà expulsées des HLM il y a six ou sept ans, avaient du moins trouvé une certaine stabilité de résidence. Or, les voilà maintenant ballottées de campement en campement, au rythme des procédures, sans aucune proposition de relogement. La scolarisation des enfants devient impossible, tout comme un travail régulier ! Une précarité supplémentaire vient ainsi d’être créée sous nos yeux pour des familles qui, n’ayant plus d’endroit où se poser, sont désormais condamnées à l’errance.

Si cette mise en péril concerne des hommes, des femmes et des enfants qui vivaient déjà dans des conditions de logement misérables, elle menace désormais les familles en procédure d’expulsion qui n’auront même plus le recours de vivre en caravane.

Priver des familles de logement stable, c’est les priver de toute perspective d’avenir. Nous en appelons solennellement aux pouvoirs publics, au plus haut niveau de l’Etat, pour que l’on ne précipite pas les plus pauvres de nos concitoyens dans des situations sans issue et pour que des solutions de logement respectueuses des personnes et de leurs souhaits de vie leur soient proposées.

La tentative de choisir des boucs émissaires parmi les populations les plus fragiles est une manière archaïque de créer l’unité. Elle s’accompagne d’une augmentation du sentiment d’insécurité pour tous. Elle ajoute à la violence. Ces discours stigmatisants conduisent à une forme de discrimination non dite qui fait que des citoyens ordinaires en viennent à rejeter les enfants les plus démunis de leurs écoles, à refuser de soigner un porteur de carte CMU (couverture maladie universelle) ou d’embaucher un jeune au seul vu de son adresse, ou encore à s’opposer à la construction de logements sociaux ou d’aires d’accueil dans leur quartier.

Certes, la tâche des dirigeants de notre pays n’est pas simple en cette période économique difficile, mais il est de leur devoir, de leur honneur, de veiller à ce que les initiatives qu’ils prennent ne contribuent pas à écraser encore davantage les plus faibles et à en faire des boucs émissaires. Comme il est de notre devoir et de notre honneur de simples citoyens, de militants des droits de l’homme, de refuser la logique de l’élimination du maillon faible et de soutenir nos élus dans leurs efforts pour que chacun trouve un logement décent.

Pierre-Yves Madignier, président d’ATD Quart Monde, et Marie-France Zimmer, militante d’ATD Quart Monde Article paru sous le titre « Loppsi 2 : refusons l’expulsion des habitants de fortune » sur www.lemonde.fr le 7 février 2011.