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Réforme du Conseil économique, social et environnemental : « La voix des plus pauvres est affaiblie »

La suppression du siège d’ATD Quart Monde au Conseil économique, social et environnemental est le signe que « la lutte contre la pauvreté n’est plus du tout une priorité du gouvernement », selon la présidente d’ATD Quart Monde, Marie-Aleth Grard.

Quelles sont les conséquences de la réforme du Conseil économique, social et environnemental ?

Le nombre de conseillers a été diminué de 233 à 175 et le groupe des personnalités qualifiées, auquel appartenait ATD Quart Monde depuis 1979, a été supprimé. Seuls deux sièges sont désormais dédiés aux représentants des associations de lutte contre la pauvreté, un pour la Croix-Rouge et un pour le collectif Alerte, dont fait partie ATD Quart Monde. La grande pauvreté augmente significativement dans notre pays et nous sommes scandalisés de voir que le nombre de représentants des plus pauvres au CESE diminue. C’est un recul de notre démocratie.

Le CESE est la troisième chambre du pays et a un rôle consultatif. Les conseillers produisent des rapports en priorité pour le gouvernement et les deux autres chambres, l’Assemblée nationale et le Sénat. Nous ne sommes pas au CESE porteurs des intérêts d’un groupe de population, d’une catégorie de citoyens, ni même des intérêts d’ATD Quart Monde. Mais nous y sommes porteurs des interrogations et des alertes des personnes qui luttent pour éradiquer
la misère, avec les personnes concernées.

Perdre cette place est dommageable pour la société, car, du CESE, sont partis un certain nombre de rapports qui ont fait avancer significativement l’accès de tous aux droits de tous.

Quels ont été justement les rapports réalisés à l’initiative d’ATD Quart Monde ?

ATD Quart Monde avait une place historique dans cette institution en matière de lutte contre la grande pauvreté. Le rapport Wresinski, en 1987, a eu un retentissement majeur en proposant de mettre en place le Revenu minimum d’insertion. Il insistait aussi sur une idée, aujourd’hui largement partagée : il ne faut pas faire pour les personnes, mais avec elles.

Les travaux portés par ATD Quart Monde ont inspiré d’autres avancées législatives, parmi lesquelles la Couverture maladie universelle, le Droit au logement opposable, la loi de lutte contre les exclusions en 1998 et un certain nombre de mesures pour une école de la réussite de tous. Ces rapports, auxquels ont contribué des personnes en situation de pauvreté, ont été essentiels. Ils ont montré que les plus pauvres peuvent participer à l’écriture des textes qui fondent l’avenir de notre pays. Comment le gouvernement peut-il oublier à ce point l’Histoire ?

Est-ce selon vous une volonté délibérée de faire taire les pauvres ?

Pour moi, cette décision signifie que la lutte contre la pauvreté n’est plus du tout une priorité du gouvernement. Cela va dans le même sens que la suppression, depuis deux ans, d’une dizaine d’observatoires qui permettaient d’observer avec finesse la vie des personnes les plus fragiles et d’alerter sur leurs conditions de vie. La voix des plus pauvres est affaiblie par ces décisions.

ATD Quart Monde sera néanmoins présent au CESE au sein du collectif Alerte, qui a désigné une membre du Mouvement pour le représenter au cours des cinq prochaines années. Pourquoi cette décision ne vous satisfait-elle pas ?

Ce n’est pas la même chose d’être au CESE au nom d’ATD Quart Monde ou au nom d’un collectif. Nous n’aurons pas exactement la même liberté d’agir et nous ne pourrons plus parler au nom d’ATD Quart Monde en séance plénière. Et nous savons que, dans cinq ans, le collectif nommera un membre d’une autre association pour le représenter.

ATD Quart Monde s’est mobilisé contre cette nouvelle composition du Conseil économique, social et environnemental. Avez-vous eu des réponses de la part du gouvernement ?

Dès que cette composition a été officielle, le 25 mars, nous avons publié un communiqué de presse, comme le collectif Alerte, pour montrer notre inquiétude. N’ayant aucune réponse du gouvernement, nous avons publié, le 10 avril, une tribune dans Le journal du dimanche, pour laquelle nous avons obtenu le soutien de personnalités politiques allant des Républicains à la France insoumise, de chercheurs, de responsables syndicaux et de personnes très impliquées dans la société civile. Parmi les 41 signataires de cette tribune se trouvaient également des personnes vivant dans la grande pauvreté et ayant participé activement à des travaux au CESE.

Nous avons ensuite transformé cette tribune en pétition, afin de permettre à tout un chacun de participer à cette alerte adressée au gouvernement. Plus de 27 000 personnes l’ont signée. Une soixantaine de députés et sénateurs, y compris le président du Sénat, ont par ailleurs écrit au président de la République et au Premier ministre pour tenter de faire évoluer cette situation. Nous leur avons également écrit personnellement et nous avons remis la pétition aux services du Premier ministre le 12 mai, mais à ce jour, nous n’avons eu aucune réponse.

Gardez-vous tout de même un espoir pour que la voix des personnes en situation de précarité continue de se faire entendre ?

Rien n’est jamais perdu. Cette forte mobilisation de personnalités de tous horizons nous montre que nous sommes soutenus. Cela portera peut-être ses fruits si des alternances politiques ont lieu par exemple. Nous sommes également fiers qu’Isabelle Doresse représente ATD Quart Monde et le collectif Alerte pour les cinq prochaines années et nous savons qu’elle ne ménagera pas sa peine, avec les plus pauvres, pour interpeller les institutions. Propos recueillis par Julie Clair-Robelet

 

Isabelle Doresse représentera le collectif Alerte

Le comité exécutif du collectif Alerte a décidé de nommer une représentante d’ATD Quart Monde pour le représenter au Conseil économique, social et environnemental au cours du prochain mandat. Isabelle Doresse siégera dans cette institution jusqu’en 2026. Alliée d’ATD Quart Monde depuis 28 ans, elle a porté ces dernières années la parole du Mouvement au sein du comité scientifique du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale et de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, supprimé en novembre 2019. Elle a été notamment longtemps engagée au sein des Universités populaires Quart Monde, grâce auxquelles elle a « beaucoup appris sur les réalités de vie des personnes, mais aussi sur leur courage dans le quotidien et la nécessité de la prise en compte de leurs savoirs ».

 

Photo : Marie-Aleth Grard au CESE le 26 juin 2019. © Raphaëlle Jouannic, ATD Quart Monde