
Quelques réflexions du mouvement ATD Quart Monde sur le projet de loi RSA
Intervention de Pierre Saglio au CNLE (Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale – www.cnle.gouv.fr) du 4 septembre 2008 après présentation du projet par Etienne Grass.
« Redonner un nouveau souffle aux politiques de lutte contre la pauvreté »
L’exposé des motifs commence par cette phrase : « le moment est venu de redonner un nouveau souffle aux politiques de lutte contre la pauvreté. » Et, quelques lignes plus loin, vous dites vouloir le faire en mettant « l’accès à l’emploi au coeur des stratégies de lutte contre la pauvreté. » Vous rejoignez ainsi l’espérance des pauvres qui, dans leur immense majorité, espèrent tout d’un accès à l’emploi, misent sur l’emploi dans leur résistance personnelle pour venir à bout de l’humiliation et de la dépendance qui leurs sont imposées.
Dans cette perspective, le RSA n’est pas qu’un projet de loi. Il est d’abord un outil de mobilisation forte, radicale, de tous les acteurs :
– en premier lieu, un outil à disposition des personnes les plus éloignées de l’emploi ; un outil qui leur redonne du pouvoir sur leur vie en misant sur leurs capacités, sur leurs initiatives, sur leur résistance quotidienne car l’accès à l’emploi en est bien souvent le fil conducteur
– en deuxième lieu un outil de mobilisation générale pour augmenter les soutiens que les plus éloignés de l’emploi sont en droit d’attendre de toute notre société enfin rassemblée pour venir, avec eux, à bout de toutes ces situations de non droit et permettre à chacun un parcours qualifiant, accompagné et rémunéré vers un emploi de droit commun.
Pour autant, dans les textes qui nous sont proposés, cette volonté de mobilisation générale reste masquée par un sentiment de suspicion à l’égard des personnes privées d’emploi considérées comme des fraudeurs potentiels qui ne sont pas mobilisés vers une recherche d’emploi. Je suis très impressionné, par exemple, du poids de toutes les mesures de contrôle, de sanction, à leur égard. Le RSA est et reste donc une mesure, une mesure intéressante sans doute, mais qui ne peut tenir lieu, à elle seule, de politique de lutte contre la pauvreté et qui n’est pas, comme vous l’écrivez, « la pierre de touche » des politiques d’accès de tous aux droits de tous.
Trois remarques néanmoins pour que cette mesure puisse se traduire par un progrès pour tous ceux qui en seront les bénéficiaires. Vous savez l’importance que nous attachons à cela car nous craignons, depuis le départ, que le RSA aboutisse en réalité à une cassure entre certains qui seront soutenus (et mieux soutenus qu’aujourd’hui) pour accéder à l’emploi et d’autres qui en seront encore plus définitivement écartés.
Le Revenu Minimum Garanti
Les actuels bénéficiaires du RMI nous disent sans cesse (et « les chercheurs d’emploi » l’ont dit très clairement lors de la rencontre du 16 avril dans le cadre du Grenelle et dans les 18 propositions qui en découlent et que nous vous avons remises) qu’ils espèrent ne plus être stigmatisés comme ils le sont aujourd’hui par tous ceux qui les appellent « les rmistes ». A ce titre, être bénéficiaire du RSA au même titre qu’un travailleur salarié au SMIC leur paraît une bonne chose. Or, si vous introduisez dans les textes, comme vous le faites, une notion de « Revenu Minimum Garanti », très vite, vous verrez qu’on parlera des bénéficiaires du RMG et vous verrez qu’on les dissociera de l’ensemble des bénéficiaires du RSA.
Je vous demande donc de supprimer cette notion de Revenu Minimum Garanti, dans tout votre texte. Parlez du montant maximal du RSA, calculé en fonction de la composition de la famille et correspondant à la sécurité de revenus assurée aux ménages n’ayant aucune ressource professionnelle mais ne le nommez jamais autrement que RSA. Certains minimas sociaux sont remplacés par une seule et unique prestation qui s’appelle le RSA. Il ne faudrait pas, pour une commodité de langage, en introduire une autre qui, inéluctablement, introduirait une différenciation des personnes.
Au passage, j’ajoute que rien ne vous oblige à préciser que ce montant sera aligné sur le RMI actuel et rien de plus. Dites qu’il sera, au moins égal, au montant du RMI actuel. Nous ne cesserons de rappeler l’exigence de l’augmentation de ce montant.
Le choix du référent unique
Vous savez l’importance que nous attachons à ce choix et à la définition du rôle de cette personne. Là encore, le 16 avril, les « chercheurs d’emploi » l’ont clairement dit : le référent doit faire confiance aux personnes, connaître leur volonté farouche que leur situation change et miser sur leur volonté de travailler. Il doit les accompagner et les personnes faisaient la comparaison avec le généraliste dans le domaine médical.
Dans le livre vert, vous faisiez une distinction, dont nous avions souligné le danger, entre « personnes à dominante sociale » et « personnes à dominante professionnelle » . Il me semble que, sur ce point, faute sans doute d’évaluation des expérimentations locales, les choses ont peu changé dans le texte que vous proposez. On reste avec un choix lourd de conséquences pour les bénéficiaires, un choix sur lequel ils n’ont aucune maîtrise et très peu de recours. Selon leur profil, détecté on ne sait comment, ils seront aiguillés soit vers le Service Public de l’Emploi soit vers le Conseil Général et le référent unique choisi parmi l’un ou l’autre.
Nous restons profondément inquiets et dubitatifs sur ce choix. Martin Hirsch s’est engagé à soutenir la proposition d’expérimentation que nous lui avons faite sur ce sujet en juillet et nous demandons que ce choix du référent, son rôle, sa compétence et sa formation, fasse l’objet d’une évaluation très rigoureuse, associant pleinement les personnes concernées.
Nous demandons également que la loi prévoit un recours très simple permettant aux personnes de dénoncer le choix fait et de changer de référent si elles le jugent utile.
RSA et moyens convenables d’existence
Trois phrases y font référence, dans l’exposé des motifs d’une part et dans les articles 115 -2-1 et 262-1.
L’une, (art115 -2) dit : Le RSA vise « à donner à toute personne en âge de travailler, un emploi lui procurant des moyens convenables d’existence »
L’autre (art 262 – 1) dit que le RSA « a pour objet d’assurer à tous des moyens convenables d’existence ».
Cet écart est révélateur. Effectivement, le RSA, tel qu’il est pensé et calculé aujourd’hui, sera un progrès financier réel pour ceux qui parviennent à accéder à un emploi. Encore une fois, nous nous en réjouissons et nous serons vigilants pour qu’il le soit dès la première heure travaillée (même si certains aujourd’hui émettent des avis contraires).
Par contre, comme nous le disons depuis le début, le RSA ne garantit aucun progrès pour les autres, voire il risque d’être pire pour eux et pourtant ils sont nombreux et ce sont eux qui sont les plus éloignés du droit commun et qui en souffrent le plus. Comme nous le rappelle le Conseil Economique et Social, ce sont leurs progrès à eux qui doivent pourtant traduire les avancées de notre société.
Enfin, une dernière remarque sur cette phrase stupéfiante qui se trouve au troisième paragraphe de l’exposé des motifs : « les politiques de lutte contre la pauvreté ne peuvent plus désormais se borner à identifier, une fois pour toutes, une catégorie de population – à partir d’une série de critères administratifs – et à diminuer mécaniquement les écarts à la norme par le jeu de transferts monétaires. »
Je vous épargnerai mes premiers commentaires à la lecture de cette phrase. Je me contenterai de vous demander, simplement mais très fermement, de retirer cette phrase. Elle est particulièrement injuste vis-à-vis de vos collègues qui, depuis des années, bataillent pour mettre en oeuvre des politiques qui ne méritent pas d’être caricaturées de cette façon.
Pierre Saglio, Président d’Atd Quart Monde France, 4 septembre 2008