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« Que faire ? »

Mercredi 7 septembre au cours de la matinée, je reçois un appel téléphonique de la part de F .F. institutrice. Elle se trouvait à l’école – jour sans élèves- pour y travailler, et aussi, pour faire le point sur la présence des élèves inscrits.
– « Françoise aurais-tu des nouvelles des enfants K. ? Elles ne sont pas venues à l’école ces deux premiers jours. L’aînée nous avait parlé d’un éventuel déménagement, mais la maman n’est pas venue pour nous le signaler. »
F.F. m’appelle car elle est au courant de mon engagement auprès des adultes immigrés désirant apprendre le français, et la maman des trois fillettes (10, 9 et 7 ans) venait à ces cours.
– « Non, je n’ai aucune nouvelle et la maman n’est plus revenue aux cours depuis quelques mois. Je te conseille d’appeler l’assistante sociale (AS) qui la suit. Tiens-moi au courant. »
La famille K est d’origine turque, la maman élève seule ses trois filles, et vit grâce aux ressources de solidarité.
F.F. me rappelle :
– « L’AS est absente aujourd’hui. »
Devant l’urgence, je lui propose de me rendre chez Madame K.
Je sonne à l’interphone :
– « Vous êtes qui ? » me demande une voix d’enfant
– « Françoise, je voudrais parler avec ta maman, est-ce que je peux monter ? »
– « Oui, au 4/5. »
J’entre pour la première fois dans la cage d’escalier de cet immeuble devant lequel je passe presque quotidiennement depuis onze ans.
J’arrive au palier 4/5. Je découvre quatre portes. Derrière laquelle habite la famille K. ? Aucune étiquette ne me donne une indication, je suis obligée de frapper au hasard. Une porte s’ouvre à peine, une jeune femme répond à ma question en haussant les épaules et me fait un signe disant : « Je crois que c’est en bas » En effet, la porte s’ouvre après une nouvelle question : « Vous êtes qui ? » madame K m’invite à rentrer dans le séjour. Deux fillettes sont à ses côtés, elles ont l’air bien tristes et sans aucun doute très surprises par ma visite.
– « Je viens chez vous parce que la maîtresse madame F m’a appelée, inquiète de ne pas vous voir à l’école. »
– « On ne peut pas venir parce qu’on doit aider maman à ranger, on va bientôt déménager. »
La conversation se poursuit : j’essaye de dire que c’est important d’aller à l’école. Mais d’autres raisons apparaissent : « J’ai honte » me dit l’aînée, en baissant la tête. D’ailleurs elle porte sa tête constamment ainsi. Elle me dit aussi : « A l’école j’écoute, mais après dans ma tête, j’entends les soucis et je ne retiens plus mes devoirs. Mais les maths, j’aime bien » Elle traduit tous les échanges entre la maman et moi. La seconde me dit : « Je n’ai pas la liste » (des affaires scolaires) J’entends ensuite : « Je n’ai pas de cahiers, de stylos ». Et la maman, avec ses quelques mots en français: « Je n’ai plus d’argent, pas d’amis, personne ne m’aide, l’AS ne s’occupe plus de nous. Le gaz était coupé durant trois mois, puis on l’avait un mois et de nouveau deux mois – pas…. »

Que faire ?
Je pense que l’urgence est, que ces petites puissent retrouver le chemin de l’école. Je propose donc à l’aînée :
– « Si maman est d’accord, je t’emmène à l’école et on va parler avec la maîtresse, elle est là-bas, sans élèves puisque nous sommes mercredi. »
– « Pas sans maman ! »
– « Bien sûr maman peut venir avec nous. Et tes sœurs aussi. »
Elles parlent entre elles et voilà qu’elles se préparent, en un clin d’œil, et je pars avec les trois petites, la maman reste à la maison.
Nous arrivons à l’école, il faut sonner car la porte d’entrée est fermée. Madame F, ainsi qu’une autre collègue nous accueillent. L’accueil est très chaleureux, madame F leur dit combien elles manquaient, qu’on les attendait. Nous nous asseyons près d’une table sur laquelle était posé tout le matériel pédagogique que préparait l’enseignante.
– « Vous voyez, la maîtresse travaille pour préparer les cours, là, tout est calme, ce n’est pas la même chose quand tous les élèves entrent dans la classe ! »
Les fillettes arrivent à parler. L’aînée dit les soucis de la maman. L’enseignante les rassure sur le matériel et elle leur propose de les prendre en voiture demain matin.
– « A quelle heure je vous prends ? »
– « On sort toujours à 7h30 (elles doivent marcher 1 km environ, donc elles sortent de la maison une demi-heure auparavant) »
– « OK, à 7h30 devant l’abri-bus. »
Je les ramène devant leur immeuble et je leur dis que je passerai le lendemain après la classe.
Jeudi, 17h : dans la salle de séjour, une autre ambiance : des cahiers sont à même le sol, trois petites filles souriantes, l’une d’elles recopie une poésie, à genoux devant la table basse, son écriture est fine, une autre arrange un protège-cahier, la plus jeune se love sur les genoux de sa maman qui l’embrasse tendrement. Tout le monde sourit.