
Idées Fausses : « Quand une société s’enrichit, ça profite aussi aux pauvres » : C’est faux !
Faux. Le « ruissellement de la richesse »est une théorie erronée.
Cette doctrine, théorisée entre autres par Simon Kuznets (prix Nobel d’économie en 1971), connaît encore un certain succès. Elle prétend que lorsqu’une société s’enrichit, même de façon inégalitaire, les plus riches consommant et investissant, cela finit toujours par profiter aux plus pauvres et par réduire les inégalités et/ou la pauvreté (dès lors, il serait légitime de réduire les impôts et le rôle de l’État pour laisser les riches s’enrichir encore plus). Mais plusieurs économistes, dont Thomas Piketty dans Le Capital au XXIe siècle et Joseph Stiglitz dans Le Prix de l’inégalité,ont montré qu’il n’en était rien.
Aux États-Unis, pays du prétendu « rêve américain » et de l’égalité des chances, les inégalités et la pauvreté sont très fortes et la mobilité sociale est aussi – sinon plus – faible qu’en Europe[1]où l’État, les services publics et la protection sociale tiennent une plus grande place (la « courbe de Gatsby » de l’économiste Alan Krueger montre que la mobilité sociale est plus importante dans les sociétés plus égalitaires). Les années 1980 de la période Reagan ne sont pas la preuve d’un ruissellement car, en plus des baisses d’impôts pour les plus riches, elles ont bénéficié d’une augmentation massive des dépenses publiques et une baisse des taux d’intérêt qui ont encouragé les investissements et la consommation.
Si la théorie du ruissellement était exacte, plus un pays serait inégalitaire, plus chacun s’enrichirait à tous les niveaux, de haut en bas. Or, on constate le contraire.
Le FMI lui-même écrit noir sur blanc que c’est « le ruissellement par le bas » et non par le haut qui fonctionne : « augmenter les revenus des classes pauvres et moyennes favorise la croissance, alors qu’augmenter les revenus des 20 % les plus favorisés nuit à la croissance – c’est-à-dire que quand les riches s’enrichissent, cela ne ruisselle pas vers le bas[2]. »
Cela n’a pas empêché les gouvernements, suite à la crise de 2008, de relancer l’économie en redonnant presque tous leurs pouvoirs aux banques, sans aider les millions de familles qui avaient perdu logements et emplois… avec comme résultat une croissance importante du chômage, de la pauvreté et des inégalités.
[Article mis à jour en décembre 2019]
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[1] R. Haskins, I. Sawhill, Creating an Opportunity Society, Brookings Institution Press, 2009. Voir aussi l’idée fausse 68.
[2] E. Dabla-Norris, K. Kochhar, N. Suphaphiphat, F. Ricka, E. Tsounta, « Causes and Consequences of Income Inequality : A Global Perspective », IMF Staff Discussion Note, SDN/15/13, 2015.