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Pour une éthique de l’adoption

Suite au rapport Colombani, le gouvernement envisage une nouvelle réforme de l’adoption, concernant essentiellement l’adoption internationale. Il ne s’agit pas, a rappelé Rama Yade, Secrétaire d’État chargée des affaires étrangères et des droits de l’Homme, de « faire du chiffre, ou d’entretenir les familles dans l’illusion d’une augmentation miracle du nombre d’adoptions internationales mais bien de créer un nouveau socle à l’adoption internationale par les familles françaises » (communiqué du 23 octobre 2008).

Une saine éthique de l’adoption veut qu’en France ou à l’étranger, la politique et la pratique de l’adoption soient centrées sur le droit de l’enfant.

L’adoption est un geste généreux et peut être une chance pour un enfant privé de parents comme pour des adultes en manque d’enfant. Mais il y a un avant et un après.

Avant l’adoption, il y a nécessairement la séparation. Ce que Nancy Newton Verrier appelle « la blessure primitive » . L’adoption, c’est une greffe, une transplantation et elle ne doit être effectuée qu’après s’être assuré que toute l’aide nécessaire a été apportée aux parents de naissance. C’est vrai pour l’étranger et la Convention de la Haye y veille, mais ce doit être vrai pour la France, ce qui n’est pas toujours le cas.

Pour expliquer et regretter la diminution du nombre d’adoptions d’enfants nés en France, le rapport Colombani s’interroge sur « une incapacité ou une impuissance collective à envisager l’adoption dans l’intérêt de l’enfant, même si les liens avec sa famille sont inexistants ou pathogènes » . Et il ajoute : « La réponse est délicate. La question de l’intérêt de l’enfant et de son équilibre avec celui de sa famille qui a des « droits » sur lui fait polémique » . La question est posée : y a t-il antagonisme entre intérêt de l’enfant et intérêt des parents ?

Les enfants adoptés ne viennent pas de n’importe où. Ils viennent le plus souvent de familles en précarité économique, sociale, affective que décrit Marie-Cécile Renoux dans son dernier livre Réussir la protection de l’enfance avec les familles en précarité. Des familles qui s’expriment rarement. Nous le faisons ici en leur nom. Toutes les familles, même celles qui sont le plus en difficulté que nous rencontrons et accompagnons au Fil d’Ariane France ou à ATD Quart Monde, veulent le bonheur et la réussite sociale de leurs enfants. Les parents espèrent tous que « leurs enfants ne passeront pas par où ils sont passés ». Aucun n’oppose son droit aux droits de l’enfant. Les droits des parents n’existent qu’orientés vers l’enfant. L’article 371-1 du code civil pose très clairement que : « L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant » . Et le premier droit de l’enfant est d’avoir des parents en capacité de l’élever et soutenus dans cette responsabilité. Le droit de vivre en famille est d’abord le droit de vivre dans sa famille, avec ses frères et sœurs et ses parents.

Bien sûr, nous ne l’ignorons pas, certains parents présentent des difficultés graves et durables nécessitant temporairement ou parfois durablement un éloignement parents-enfants. Il peut s’agir de maltraitance. Heureusement, c’est exceptionnel : selon les chiffres de l’ODAS (Observatoire de l’action sociale décentralisée) moins de 20% des 130 000 enfants accueillis physiquement par les services d’Aide Sociale à l’Enfance. Dans les autres situations, plus de 80%, il s’agit de difficultés familiales, éducatives, matérielles, révélatrices du non droit dans lequel sont obligées de vivre ces familles… Le rapport Colombani suggère que l’adoption permettrait « d’accueillir un enfant confié à l’Aide sociale à l’enfance et délaissé par sa famille, en utilisant l’article 350 du code civil » . C’est l’article qui permet des déclarations d’abandon en cas de désintérêt prolongé des parents. Si on veut doubler le nombre d’adoptions, il faut bien doubler le nombre d’abandons. D’autre part, il note que l’adoption « pourrait constituer une solution satisfaisante, dans l’intérêt de l’enfant dont la famille ne peut assurer l’entretien » , proposition qui induit que le nombre d’enfants adoptables pourrait être augmenté par les enfants de familles qui vivent des situations de grande précarité.

Mais avant de sanctionner ce « délaissement » par une rupture des liens, il convient de s’interroger sur ses causes et sur les conséquences psychologiques et humaines pour l’enfant de cette rupture. Aujourd’hui l’Aide Sociale à l’Enfance concerne 400 000 enfants, dont 130 000 en accueil physique. Elle est le premier poste de dépense des départements et pèse plus de 5 milliards d’euros par an. Elle fait vivre plus de 150 000 professionnels. Mais on peut estimer que 50 % des placements sont injustifiés : 25% sont dus à une mauvaise évaluation ou absence de recherche d’alternatives familiales, et 25% se prolongent abusivement par manque de travail avec les parents. Et nous n’avons pas peur d’affirmer que c’est selon une hypothèse basse.

Placements injustifiés en raison d’un principe de précaution mal compris ou d’un insuffisant recours à la solidarité familiale ou aux alternatives de droit commun, malgré ce que demande désormais la loi. Déjà en 1978, Golstein, Anna Freud et Solnit écrivaient : « Si on considère les dommages que subit un enfant en passant, même temporairement, de l’autorité personnelle de ses parents à l’autorité impersonnelle de la loi, quels motifs apparaissent suffisamment graves pour qu’une famille soit placée sous la surveillance de l’État ? » (Golstein, Freud, Solnit, Avant d’invoquer l’intérêt de l’enfant , ESF 1983). Trente ans après, on n’a pas avancé. Mise à l’écart des parents par des placements parfois lointains, vers quelque « lieu de vie » ou « centre équestre » implanté en zone rurale, séparation des fratries. Rencontres surveillées par la pratique généralisée de ce qu’on appelle indûment des « visites médiatisées » – une heure une à deux fois par mois – qui sont un frein à toute spontanéité. Séparations injustifiées : des parents se voient interdire d’écrire ou de téléphoner à leur enfant pour son anniversaire, se voient reprocher de chercher à le voir en se cachant à la sortie de l’école… D’autres sont tellement fragilisés par la grande pauvreté qu’ils ont beaucoup de difficultés à maintenir ou à rétablir des liens avec leurs enfants, s’ils ne sont pas soutenus durablement par les professionnels qui en ont reçu mandat. Ceux qui se battent et ne baissent pas les bras après tant d’humiliations ont beaucoup de force et de mérite. Bien sûr les attitudes de mise à l’écart des familles par les services publics et privés ne sont pas générales. Notre expérience à ATD Quart Monde, avec l’association Le Fil d’Ariane France, et en tant qu’avocat, nous oblige pourtant à dire qu’elles sont quotidiennes.

Avant de déclarer un enfant abandonné, et pour pouvoir évaluer un éventuel délaissement parental, il convient de mettre en parallèle l’action de l’institution pour permettre aux liens parents – enfant d’exister. Il devrait être ajouté à l’article 350 du Code civil « Sont considérés comme s’étant désintéressés de leur enfant les parents qui, malgré l’accompagnement prévu notamment par les dispositions des articles L 221-1 et suivant du CASF et l’article 375 du présent code civil et celui fourni par les institutions compétentes, n’ont pas entretenu avec lui les relations nécessaires au maintien de liens affectifs… » Ce qui obligerait le tribunal à le vérifier. Le droit doit protéger aussi bien les enfants contre les abus ou les carences des parents que les parents et les enfants contre les abus ou les carences des institutions.
Certains services privés et publics apportent un réel soutien aux familles en difficulté, mais ce devrait être toujours le cas, comme la loi le demande. La protection de l’enfance exige zéro défaut lorsqu’elle aboutit à une décision de rupture des liens familiaux.

Cette aide est une exigence éthique préalable à tout projet d’adoption pour que celle-ci ne soit pas un rapt. « Le vrai problème, avait dit Bernard Derosier à l’Assemblée Nationale lors de la discussion de la loi sur l’adoption de 2005, n’est pas de promouvoir une politique de l’adoption qui rendrait adoptables des enfants des personnes les plus démunies, sous prétexte que ces familles seraient en situation de grande détresse. Le vrai problème est de mettre en œuvre une véritable politique familiale leur permettant d’élever correctement leurs enfants » . Bernard Seillier au Sénat, allait dans le même sens.

Et puis il y a un après l’adoption. L’enfant adopté devra se construire avec son passé et son histoire. C’est un besoin vital pour tout enfant de les connaître. Pour se construire et entrer dans la société, l’enfant a besoin de voir ses parents reconnus. L’enfant adopté s’identifie à ses parents de naissance, même si il ne les connaît pas ou peu. Il le fera à partir des indices qu’il a entendus ou cru entendre. De nombreux psychanalystes en donnent des exemples. D’autre part, les adultes qui ont été confiés à l’Aide sociale à l’enfance nous disent leurs difficultés à se construire une identité avec les trous, les vides de leur histoire. Les enfants confiés à l’Aide sociale à l’enfance crient leur mal-être si leurs parents ne sont pas reconnus socialement et par les personnes qui les élèvent. On n’aide pas les enfants en dénigrant ou en ignorant leurs parents.

L’adopté ne reste pas un enfant, il devient un adulte qui doit se construire avec toutes ses histoires et toutes ses filiations. L’adoption est à la rencontre de trois histoires : l’histoire de parents, l’histoire d’un couple qui veut faire de cet enfant son enfant et l’histoire d’un enfant enjeu de tous ces désirs contradictoires. Le Droit doit être instrument de justice. Il ne peut donc exclure aucun des intérêts en présence. Cela suppose concrètement qu’il soit enfin mis fin à l’accouchement dit « sous X » que l’on propose si facilement aux mères en situation de précarité, même si on organise, comme c’est souhaitable, des possibilités d’accouchement protégé. Cela suppose que des traces soient toujours conservées. Cela suppose un autre regard sur les parents.

Lorsque l’adoption paraît être la solution la plus adaptée – nous dirions avec Goldstein, Anna Freud et Solnit « la moins nocive » , elle suppose quelques précautions éthiques : que toute autre solution d’aide à la famille ait été engagée et que des traces soient toujours gardées, pour que l’adopté puisse accéder à l’intégralité de son histoire. Alors elle sera une chance pour l’enfant.

Pierre Verdier Avocat au barreau de Paris et Pierre SaglioPrésident d’ATD Quart-Monde France.