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Patrice Bégaux, militant pour l’Europe

Patrice Bégaux : « On doit toucher tout le monde et ne pas en rester aux constatations, car le temps passe et c’est toujours les mêmes qui payent. » (photo Julian Hills)

Patrice Bégaux participe depuis dix ans aux actions d’ATD Quart Monde à Tamines, au sud de Bruxelles. Le goût de la rencontre et l’attention portée aux autres ont toujours guidé sa vie. Le 5 mars dernier, il a participé à l’Université populaire Quart Monde organisée au Parlement européen.

« La vie, c’est complexe », lâche Patrice en regardant les photos de l’Université populaire du 5 mars. Cet événement, il s’y est investi pendant plus d’un an : des rencontres de préparation jusqu’à la rédaction des propositions finales. La voix est douce. Le regard perçant. « Ceux qui ont participé ont des vies dures. Les difficultés, ils sont encore en plein dedans. Moi, je suis au minimum, mais j’ai une vie plus facile aujourd’hui. »

À l’approche des élections, Patrice voit dans cette rencontre au Parlement européen l’occasion de taper du point sur la table. « Je ne suis pas du genre à envoyer des fleurs. Ils veulent diminuer en Europe la pauvreté de 20% d’ici 2020. On ne peut pas partir sur des bases comme celles-là. C’est de la folie. Il n’y a pas à diminuer la pauvreté. Il faut l’enrayer, la démolir. Elle ne devrait même pas exister. Aider à trouver seulement des pièces de rechange, ça ne m’inspire pas. C’est même pas 10% qu’il faut, les gars, c’est zéro ! Si les recommandations ne suffisent pas pour lutter contre la misère, n’ayez pas peur de faire des directives en vous basant sur ce qui marche déjà dans certains pays : la seconde chance au Luxembourg, la scolarité dans les pays nordiques… »

« J’ai fait avec ce que j’avais, c’est tout »
Patrice habite depuis une dizaine d’années une région qui a beaucoup souffert des délocalisations. « Avant, il y avait des milliers de gens qui passaient par la gare, maintenant il n’y a plus de travail ici. »
Question travail, Patrice en connaît un rayon. « Quand j’étais jeune, je bougeais tout le temps. Au lieu de voir ça comme une richesse, les patrons me reprochaient de ne pas être stable. Aujourd’hui, ça serait le contraire. Le monde est parfois bizarre. » Patrice a fait de l’électricité, de la poterie. Il a été magasinier, ferrailleur, a tenu des auberges de jeunesse… « C’était une vraie création de vie. Quand on rencontre des personnes différentes, on s’enrichit très fort. »
Patrice trouvera la stabilité dans une biscuiterie. « On a commencé à deux : le patron était dans son bureau et je m’occupais de l’atelier, dans la cave. » Au bout de vingt ans, dix personnes travaillaient dans l’entreprise. « J’ai engagé beaucoup de personnes qui avaient des problèmes : des anciens prisonniers, des alcooliques… Si je ne leur avais pas laissé une chance, je ne sais pas où ils auraient pu l’avoir. J’ai fait avec ce que j’avais, c’est tout. » Mais des problèmes de santé l’obligent à stopper le travail. Il quitte alors Bruxelles pour s’installer à Tamines.
Les galères qu’il a connues enfant le rattrapent. « Toute ma vie, j’ai été riche, j’ai été pauvre… mais la misère poursuit les gens… » Alors qu’il se rend à une distribution alimentaire, Patrice croise un membre du groupe local d’ATD Quart Monde qui l’invite à participer aux rencontres de l’Université populaire. Toute sa vie, Patrice a été attentif aux autres. Il n’a pas attendu ce moment pour agir. Mais au milieu de « cette masse de gens solidaires qui vivent la même chose », il voit une occasion de concrétiser.
Cela fait maintenant dix ans que Patrice participe à la vie du groupe. Les difficultés, il s’en est sorti de justesse. Notamment grâce à une juge qui a fait le choix de ne pas saisir la maison qu’il venait de trouver. « Elle savait qu’on n’aurait jamais moins cher ailleurs. Elle a réfléchi. C’est ça qu’on cherche avec ATD Quart Monde, je pense : que les professionnels aient une vraie réflexion au moment de prendre des décisions importantes pour les gens. »
Aujourd’hui encore, il continue à soutenir de nombreuses personnes. « Il s’est toujours occupé des autres avec beaucoup d’empathie, précise un proche. Ils savent qu’ils peuvent compter sur lui à n’importe quel moment. Ils ont confiance en lui et ça leur fait du bien. » Pour Patrice, aider quelqu’un est avant tout lui permettre de voir les choses autrement. « Voir le positif permet de commencer à se sortir du marasme. »

« Tout part de l’école »
Le 5 mars, il a été également question d’éducation. « Tout part de l’école. Les pauvres restent à leur place et l’école continue à fabriquer des refusés : des gens qui sortent sans formation, sans travail, sans fierté possible. » Moqué parce que différent des autres, Patrice garde un mauvais souvenir de l’école. À quatre ans, alors que la grille est ouverte, il part une première fois. Sa vie en reste marquée à jamais : « Je n’ai pas de diplôme de primaire. Je n’ai pas réussi. Je dois être bête quelque part… ou alors c’est qu’il y avait autre chose… je penche plutôt pour cette hypothèse-là. »
Patrice regrette que l’école soit le contraire de la vie réelle : « On t’interdit de regarder sur la feuille de ton copain, alors qu’adulte, tu dois sans cesse comparer les choses et faire avec les autres… Ce n’est pas logique. D’autres pédagogies existent. L’école devrait changer entièrement. On devrait y parler de demain, du vivre en commun, du partage… »

De cette Université populaire au Parlement européen, Patrice retient surtout les échanges avec les personnes travaillant au sein des institutions. « On a pu se rencontrer et se parler, alors que si on s’était croisé dans la rue, ils auraient sûrement changé de trottoir. Ceux qui étaient présents avaient envie de nous écouter. Il faut maintenant voir comment toucher ceux qui n’étaient pas là. Quelle que soit leur compétence (agriculture, travail, éducation…), il y a toujours un lien avec la pauvreté. À travers les lois qu’ils votent, les politiques ont toujours la responsabilité de la situation des personnes. On doit pouvoir toucher tout le monde et ne pas en rester aux constatations, car le temps passe et c’est toujours les mêmes qui payent. »

Thibault Dauchet