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Table ronde : Les vacances sont un puissant marqueur social

Les vacances, un marqueur des inégalités ? C’est ce qu’ont montré Serge Paugam, sociologue et chercheur au CNRS, et André Rauch, historien et chercheur au centre de recherche ISOR, lors de la table ronde « Partir en vacances : un privilège ? » organisée par ATD Quart Monde le  5 avril 2018 à Paris et animée par Tonino Serafini, journaliste à Libération. Véronique Davienne, ex-responsable de la Maison de vacances familiales La Bise, et Muriel Morel, une ancienne vacancière, ont aussi témoigné. Reportage.

Organisée par ATD Quart Monde dans le cadre du lancement de sa campagne sur l’accès aux vacances pour tous, la table ronde « Partir en vacances : un privilège ? » débute par un constat : 40 % des Français ne partent pas en vacances et là encore, les écarts se creusent avec ceux qui partent de plus en plus souvent et toujours plus loin.

Une culture

« Pourtant, il y a un paradoxe, explique Véronique Davienne, ancienne responsable de la maison de vacances familiales La Bise (Jura) d’ATD Quart Monde. Ce sont avec les familles les plus malmenées par la vie que nous avons le plus de mal à construire un projet de vacances. »

André Rauch approuve : « Les vacances, c’est une culture. Ce n’est pas parce qu’on ne travaille pas, qu’on sait se mettre en vacances. » Accéder aux loisirs et profiter de temps libre nécessitent un savoir-faire très concret : lire une carte, choisir un hôtel, etc. À quoi bon visiter une église si on n’a pas les clés pour décoder l’art roman ?

Murielle Morel, ancienne vacancière de La Bise, est invitée à témoigner : « Lorsqu’on nous a proposé à mon mari et à moi de partir quelques jours à la Bise, nous sortions d’une galère et venions juste d’être relogés par ATD. Alors, partir en vacances, nous n’y pensions même pas ! Mais nous n’avons pas regretté. Cinq familles étaient accueillies sur le séjour avec lesquelles nous partagions les repas. C’était très convivial. Nous avons passé d’excellents moments : visite de la région, activités manuelles et sportives… Pour mon mari, ma fille et moi, ces vacances ont tout changé. »

Des freins au départ

C’est un fait : les familles en situation de précarité ne s’autorisent pas à penser aux vacances. « Elles sont souvent réfractaires, raconte Véronique Davienne. Nous devons y croire plus qu’elles lorsque nous proposons un projet vacances et lever bien des freins : laisser son logement, faire sa valise, prendre le train…. Pour la plupart, ce sont les premières vacances et beaucoup ont peur. Pourtant, les vacances représentent un espace de liberté qui vont les ressourcer. Les retombées sont toujours positives. »

Déjà, les personnes découvrent qu’elles sont capables de partir. Parenthèse dans la vie de ces familles, ces séjours provoquent aussi des choses fortes qui survivent une fois rentrées chez elles. On donne un coup de peinture à son logement, on a l’énergie pour chercher du travail, on emmène son enfant à la bibliothèque, les parents dont les enfants sont placés obtiennent des extensions de leur droit de visite, etc.

Un droit au repos

Selon les statistiques, les catégories de salariés les moins aisées, les ouvriers, partent moins en vacances ces dernières années. Pour Serge Paugam, « la question des vacances se pose en regard de la problématique de la société salariale. Celle-ci repose sur deux piliers : d’une part, une protection vis-à-vis des aléas de la vie. Les vacances sont synonymes de droit au repos et donc droit à la santé ; d’autre part, un processus de reconnaissance : il est aujourd’hui important aux yeux de la société d’être intégré dans des collectifs, et notamment des collectifs de travail. Lorsqu’on travaille toute la semaine, nous avons droit à des temps de repos. Les vacances, c’est le monde du travail qui l’organise. »

Comment alors imaginer qu’un chômeur puisse partir en vacances ? « Dans l’imaginaire collectif, les chômeurs n’ont pas droit au repos, reprend Serge Paugam. Avant de partir en vacances, la priorité serait qu’ils trouvent du travail. »

L’estime de soi

Mais aujourd’hui, le monde du travail s’effrite… et les vacances avec. En même temps, le XXIe siècle a débuté avec l’explosion de l’individualisme « Nous ne sommes plus dans la société de janvier 1982 où les cinq semaines de congés payés étaient votées, précise André Rauch. Nous sommes dans une société de RTT, où nous avons la possibilité de partir quand nous voulons et surtout quand c’est moins cher. »

« La précarité et l’insécurité ont gagné, renchérit Serge Paugam. Aujourd’hui, une partie des salariés, dont les cadres supérieurs, vivent dans une flexibilité du travail qui leur impose de faire des choix. Par ailleurs, l’intensification du travail les pousse à organiser leurs vacances sur des temps plus courts, quitte à partir plusieurs fois dans l’année. »

Surtout, partir en vacances, c’est donner une image de soi. ATD Quart Monde souhaite offrir aux familles démunies un premier départ pour leur permettre de créer une rupture dans le quotidien, retrouver l’estime de soi et ainsi mieux repartir.

Géraldine Dao