
Océan indien : agir ensemble
Dans l’Océan indien, la 28e journée mondiale du refus de la misère le 17 octobre 2014 a été l’occasion de fêter les 25 ans de la dalle en l’honneur des victimes de la misère à l’île de La Réunion, les 10 ans de la stèle de l’île Maurice et les 25 ans de la présence du Mouvement ATD Quart Monde à Madagascar. Aperçus en textes et en images(1).

« Le pain rassis, l’eau sucrée, je connais. Attendre dans la cour de l’école parce que vos parents n’ont pas pu payer les frais scolaires, je connais aussi. Aller à la maternité en autobus pour accoucher, je connais. Voir un papa rentrer le soir les mains vides parce qu’il n’a rien trouvé, sentir dans son regard comment il est blessé, je connais aussi. Cette stèle, c’est une partie de moi, c’est une partie de nous. Cette stèle avant qu’elle ne soit là, on l’avait dans notre tête, dans nos rêves. Maintenant qu’elle est là, elle est peut-être dans la mémoire de tous, pour que personne n’oublie. » (une maman de la République de Maurice, le 17 octobre 2004, lors de la pose de la stèle en l’honneur des victimes de la misère)
« Quand je sors le matin, je ne suis pas sûr que je vais ramener de quoi manger. Mais le plus difficile, ce n’est pas ça. Le plus difficile est d’être des moins que rien. L’exclusion, c’est quand personne ne veut réfléchir avec nous. » (Monsieur Jean-Pierre, à Antananarivo, Madagascar, 17 octobre 2014)
Comme les autres enfants
« Je m’appelle Émilien et j’ai 10 ans. Nous avons des problèmes énormes pour survivre. Souvent, nous ne mangeons pas à la maison. Les gens n’aiment pas trop porter leur regard sur nous, car ils craignent que nous mendiions auprès d’eux. Surtout que les temps sont déjà assez durs.
J’ai rejoint le mouvement Tapori(2) car je trouve de la joie à retrouver les enfants les mercredi après-midi, à dessiner, jouer et écouter les histoires d’enfants d’autres pays vivant l’exclusion comme moi, mais qui montrent du courage en cherchant l’amitié d’autres. Ceci m’incite à aller à l’école comme les autres enfants.
Au sein du groupe Tapori, j’ai dit les formes d’exclusion que je vivais. Nous avons réfléchi comment éliminer cette discrimination pour que tous les enfants aient les mêmes droits. Par exemple, à Noël, pour me permettre d’aller à la fête, un ami m’a prêté un pantalon. Cela m’a permis d’avoir vêtement propre comme tous les autres.
Pour éviter qu’une personne ne soit isolée, il faut faire l’effort de se rapprocher d’elle. Pour elle, le fait de savoir qu’il y a quelqu’un avec laquelle elle pour échanger constitue une force inouïe. » (Émilien, à Antananarivo, Madagascar, 17 octobre 2014)


« Maintenant, je sais lire et écrire »
« Un jour, une personne est venue me dire que MMM(3) cherchait des employés. J’ai répondu que je ne savais ni écrire, ni lire. Comment donc pourrais-je imaginer d’être recrutée ? Un autre jour, un volontaire permanent d’ATD Quart Monde m’a dit que MMM offrait une formation dans le domaine artisanal ainsi que des cours pour apprendre à lire et écrire. À la rentrée, je faisais partie des personnes recrutées. Aujourd’hui, je sais à la fois lire et écrire et je maîtrise la broderie, la couture à la machine et la confection d’articles avec le raphia. Mon niveau de vie a évolué, j’ai quelques économies. J’arrive à subvenir aux besoins de ma famille ainsi qu’à assurer la scolarisation de mes enfants. Nul ne peut plus me tromper avec un quelconque papier, car, maintenant, je sais lire et écrire.
Je ne suis plus agressive comme avant ; je prends le temps de réfléchir avant de répondre. Avant, non seulement je faisais beaucoup de bruit lorsque je parlais, mais aussi je ne choisissais pas mes mots. Tout ceci relève du passé depuis que je suis à MMM. Il en est de même pour ce qui concerne la propreté physique ou vestimentaire et pour l’esprit : arriver à ne pas être jaloux et à ne pas dire du mal des autres.
Lorsque j’aurai terminé ma formation à MMM, je souhaite gérer un travail. J’enseignerai à mon enfant tout ce que j’ai appris et nous ouvrirons une petite entreprise familiale. Je transmettrai également mon savoir à d’autres personnes qui vivent la misère pour qu’elles puissent trouver du travail. » (Marianne)
« On croit qu’il n’y a pas de pauvres »
« À la Réunion, des personnes croient qu’il n’y a pas de pauvres. Si une personne est en difficulté, elle ne va pas se dévoiler. Quand elle sort de chez elle, elle est bien habillée, propre. Même si elle n’a pas mangé, souvent, elle ne le dira pas. Quand on a des soucis, on sait qu’on ne peut pas en parler avec n’importe qui. On a honte d’en parler, on a peur que les gens aillent raconter ailleurs des choses fausses. Alors on garde nos problèmes, on s’enferme. (…) On connaît des personnes qui n’ont pas l’eau et l’électricité ou qui n’ont pas la couverture santé à laquelle elles auraient droit. Elles n’osent pas faire les démarches, elles ont peur de ne pas arriver à s’exprimer correctement et sont découragées.
Dans différents quartiers, des habitants se sont mis ensemble pour réfléchir et se soutenir dans les démarches. Ils savent ce que c’est d’être renfermés, à l’écart, avec la honte et la culpabilité et ils ne veulent pas que d’autres vivent ce qu’ils ont vécu. Quand on est ensemble, quand on peut parler, réfléchir avec des personnes en qui on a confiance, on retrouve de la force. Ceux qui ont été accompagnés hier dans les démarches, accompagnent d’autres aujourd’hui. »
Merci à Nathalie et Denis Gendre, à Amélie Rajaonarison
Photo du haut : Atelier de formation couture à l’entreprise MMM à Madagascar.