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Neuf dimensions cachées de la pauvreté

 

Lutter efficacement contre la pauvreté, c’est d’abord la comprendre

S’il est largement admis que la pauvreté est multidimensionnelle, aujourd’hui encore on tend à la limiter à ses aspects financiers quand il s’agit de la mesurer, comme le fait par exemple la Banque mondiale qui fixe le seuil international de pauvreté à 1,90 dollar par personne et par jour. Pourtant l’enjeu est de taille : alors que la communauté internationale a adopté de nouveaux Objectifs pour un Développement Durable (ODD) – dont le premier est d’éradiquer la pauvreté partout et sous toutes ses formes – la manière dont nous comprenons et mesurons la pauvreté est plus que jamais essentielle.

Pour répondre à cet enjeu, une recherche participative internationale sur les dimensions cachées de la pauvreté, pilotée par l’Université d’Oxford et ATD Quart Monde avec le soutien de nombreux partenaires, a été menée dans six pays – trois au Nord et trois au Sud. Durant trois ans, les équipes de recherche composée à la fois de chercheurs universitaires, de professionnels et de personnes vivant en situation de pauvreté venant du Royaume-Uni, de France, des Etats-Unis, du Bangladesh, de Tanzanie et de Bolivie ont travaillé pour établir de nouvelles catégories d’analyse de la pauvreté. Moins technocratiques et davantage nourries par la vie des personnes qui en souffrent, ces « dimensions cachées de la pauvreté » mises en lumière par cette recherche ont pour but de faire avancer la pensée globale sur la nature et la mesure de la pauvreté. Objectif à long terme : contribuer à des actions de terrain plus efficaces et à l’élaboration de meilleures politiques de lutte contre la pauvreté aux niveaux national et international.

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Définir la pauvreté : 9 dimensions, 5 facteurs modificateurs

Les résultats mettent en avant l’interaction entre neuf dimensions de la pauvreté. Les trois premières ont été exprimées très fortement par les personnes en situation de pauvreté dans les six pays, mais elles sont encore peu comprises par la société et pas suffisamment prises en compte dans les indicateurs de pauvreté actuels. Trois dépendent ensuite des dynamiques relationnelles et les trois dernières sont plus classiques et renvoient à un manque de ressources, monétaires, matérielles et sociales.

Dépossession du pouvoir d’agir

La pauvreté entraîne un manque de contrôle sur sa propre vie. Les personnes en situation de pauvreté n’ont souvent pas leur mot à dire dans les décisions prises à leur place par des personnes qui ont autorité sur elles.

« La pauvreté, c’est comme une toile qui t’englue, dont tu ne peux jamais t’échapper. » (Personne en situation de pauvreté, Royaume-Uni.)

Souffrance dans le corps, l’esprit et le cœur

Vivre dans la pauvreté, c’est vivre des souffrances physiques, mentales et émotionnelles intenses, accompagnées d’un sentiment d’impuissance à y faire quoi que ce soit.

Tu ne peux pas t’endormir : tu penses ‘qu’est-ce que je peux faire ? Qu’est-ce que je vais donner à manger à mes enfants ?’ Tu te sens très mal, ça te fait mal à l’intérieur.” (Personne en situation de pauvreté, Bolivie.)

Combat et résistance

Il y a un combat continu pour survivre, mais la créativité des personnes en situation de pauvreté leur permet de répondre aux besoins fondamentaux de manière inventive, tout en acquérant de nouvelles compétences.

Quand j’ai de vieux vêtements, j’en fais de nouveaux. Quand on n’a rien à manger, je fais des gâteaux avec ce que j’ai. Je fais pousser mes propres légumes. On se débrouille. » (Personne en situation de pauvreté, France.)

Maltraitance institutionnelle

Les institutions, publiques et privées, de par leurs actions ou leur inaction, se montrent souvent incapables de répondre de manière appropriée et respectueuse aux besoins et à la situation des personnes en situation de pauvreté, ce qui les conduit à les ignorer, à les humilier et à leur nuire.

“Le système d’aide sociale n’est pas conçu pour vous permettre d’en sortir. Il vous maintient constamment la tête sous l’eau. Il vous met dans cette situation et vous reproche d’y être. C’est parfois comme si vous deviez sortir de la pauvreté par effraction.” (Militant, États-Unis.)

Maltraitance sociale

Le comportement du public envers les personnes en situation de pauvreté se caractérise par des jugements négatifs préjudiciables, la stigmatisation et le blâme. Les personnes vivant dans la pauvreté sont souvent ignorées ou exclues.

Ici, aux États-Unis, qui vous êtes est défini par ce que vous possédez. Quand vous n’avez pas grand-chose, vous n’êtes pas grand-chose. Et alors, on considère que vous n’avez pas votre place dans la société.” (Militant, États-Unis.)

Contributions non reconnues

Les connaissances et les compétences des personnes vivant dans la pauvreté sont rarement vues, reconnues ou valorisées. Individuellement et collectivement, ces personnes sont souvent présumées incompétentes, à tort.

Nous avons de sérieuses compétences pour gagner de l’argent, nous savons tricoter, nous savons faire tant de choses, comme recycler, mais personne n’accorde de valeur à ces compétences. Personne ne dit vraiment : ‘ils font un effort.’ Tout cela est rendu invisible.” (Personne en situation de pauvreté, Bolivie.)

Manque de travail décent

Les personnes vivant dans la pauvreté ont rarement accès à un travail équitablement rémunéré, sûr, stable, réglementé et digne.

Nous sommes surmenées, mais nous sommes sous-payées. La plupart des femmes qui travaillent dans la carrière se réveillent généralement à 5h du matin et travaillent de 6h à 16h. A la fin de la journée, elles sont payées entre 2000 et 5000 Tsh (environ 0,78 à 1,95 euros). » (Personne en situation de pauvreté, Tanzanie.)

Revenu insuffisant et précaire

Cette dimension se réfère au fait d’avoir trop peu de revenus pour pouvoir subvenir aux besoins de base et aux obligations sociales, pour maintenir l’harmonie au sein de la famille et vivre dans de bonnes conditions.

Quand nous n’avions pas d’argent, nous devions chercher de la nourriture dans la forêt. Parfois, nous mangions des feuilles et des racines, sans savoir si elles étaient sans danger pour notre santé.” (Personne en situation de pauvreté, Tanzanie.)

Privations matérielles et sociales

Cela caractérise le manque d’accès à des aliments nutritifs en quantité suffisante, à des vêtements adéquats, à des logements de qualité avec de bonnes installations sanitaires, de l’eau propre et un approvisionnement énergétique fiable, à une éducation non-discriminatoire dans des écoles bien équipées, à des soins de santé accessibles et efficaces, à des transports publics qui fonctionnent et à des environnements non dangereux.

Ne pas avoir de vêtements chauds pour l’hiver. De mauvaises odeurs venant des habits qui ne peuvent pas sécher dehors, dans une hutte en mauvais état, mal ventilée. Nous avons toujours faim. Nous avons toujours les pieds sales parce que nous n’avons pas de chaussures.” (Personnes en situation de pauvreté, Bangladesh.)