
Nathalie Bouthillette : « J’ai ma place dans ce monde »
Nathalie habite Montréal, au Québec. Son quartier, c’est Hochelaga-Maisonneuve. Un quartier historiquement ouvrier, marqué encore aujourd’hui par la pauvreté, mais aussi connu pour le dynamisme de son action communautaire.

Nathalie est mère de quatre enfants, « quatre garçons de 16 à 26 ans, qui sont rendus grands et autonomes ! », comme elle se plaît à dire. Elle n’a pas toujours eu la vie facile : « La majorité de ma vie, je l’ai passée dans la pauvreté. Mettons que je me suis débrouillée avec les moyens du bord : en allant dans des banques alimentaires, en faisant des programmes dans des organismes… Je suis retournée aux études pour pouvoir travailler et avoir une vie plus aisée. »
Se regrouper avec d’autres pour améliorer le quotidien fait partie de sa culture : « Ça nous aide à sortir de l’isolement. Dans le temps, ma mère allait dans l’organisme « la COOP », on avait parfois des épluchettes de blé d’inde1, on avait des vacances en familles en camping… Moi, je fais partie du Carrefour familial2 depuis 25 ans. J’y ai appris beaucoup de choses avec mes enfants. Ça m’a beaucoup aidée à lâcher prise sur certaines affaires. »
Plus récemment, Nathalie a connu un passage difficile : « Aujourd’hui, je suis capable de vivre avec et de l’accepter, je sors grandie de m’en être sortie. Je ne peux pas dire que je regrette. La souffrance a fait qu’à un moment donné, je suis passée par la drogue. Je ne me rendais pas compte que je m’enfonçais. » C’est à ce moment-là qu’elle rencontre ATD Quart Monde : « J’étais dans le noir total et Marianne et Marie-Christine3 ont été comme des anges. Je me suis ramassée à l’hôpital. »
Son amie Josée l’invite à une réunion de préparation d’Université populaire Quart Monde. Cela se passe chez Marie-Christine : « Je ne savais pas que je connaissais Marie-Christine. Mon fils allait à la même école, dans la même classe que son fils. On s’était rencontrées aux réunions de parents. Quand j’ai vu que je connaissais Marie-Christine, j’étais encore plus à l’aise. »
Puis elle participe à une première soirée d’Université populaire à la maison Quart Monde de Montréal : « Quand je suis venue ici la première fois, j’ai vu le sourire des gens, je me sentais la bienvenue. C’était Marianne qui animait la réunion. Sa simplicité m’a aidé à avoir confiance. J’ai trouvé ça très intéressant de voir les gens qui arrivaient à s’affirmer sur ce qu’ils pensaient vraiment. Dans la vie, on pense plein de choses, mais c’est très rare qu’on le dise ouvertement. Au fil du temps, je me suis impliquée de plus en plus avec ATD Quart Monde. Ça m’a beaucoup aidée à m’affirmer, à garder mon opinion sur certaines choses. Avant, je pensais : « Parler pour ça, c’est comme si on parlait dans le vide. » »
En octobre 2010, Nathalie participe à un rassemblement international à Washington. Avec une délégation de personnes venues de partout dans le monde, elle est reçue par des représentants du gouvernement américain4 : « C’est là que j’ai découvert que nos opinions pouvaient porter, que notre parole a un poids. Des actions comme ça, concrètes, peuvent faire avancer les choses. J’étais fière d’apporter ma contribution en allant porter notre message. J’ai vécu un moment extraordinaire. »
Sa participation à l’Université populaire la transforme : « Avec mes enfants, par exemple. Avant je leur disais : « Non, ça ne marche pas de même.5″ J’ai appris à expliquer le pourquoi du pourquoi. Les invités de l’Université populaire m’ont appris plein de choses. Par exemple, je savais que les femmes manquaient de liberté il y a des années, mais pas à quel point. Ça m’a appris à décrocher, à ne plus en vouloir à ma mère. Dans le fond, elle était soumise aux lois québécoises. »
En 2012, Nathalie devient co-chercheuse dans le cadre d’un projet de recherche participative qui vise à évaluer l’impact de l’Université populaire sur la pauvreté. « Discuter avec des chercheurs m’a impressionnée beaucoup. Mais ces gens là sont aussi simples que nous autres. J’ai appris à poser la question : « Qu’est-ce que tu dis ? » et on finit par se comprendre en s’expliquant. Les mots ne sont pas pareils, il y a des termes que je ne connais pas. Mais je suis ouverte à l’apprentissage ! ».
En janvier 2013, elle participe avec d’autres Québécois à l’Université populaire Quart Monde de New York. Trois jours intenses de découvertes, de rencontres et d’échanges : « J’ai réalisé qu’il y a des pauvres, même dans des grandes villes comme New York. Je savais qu’il y avait Brooklyn, les gang de rue, mais pas qu’ils vivaient aussi bas que nous-autres. Il y a des gens qui ramassent des bouteilles consignées cinq cents pour subvenir à leurs besoins. J’ai de la misère à croire ça. Mais je l’ai constaté. »
Après tout ce parcours, Nathalie conclut : « J’arrive maintenant plus à croire qu’on peut continuer de se battre contre la pauvreté. Dans d’autres organismes, on nous donne tout cuit dans le bec. Les cours sont gratuits, le café, les biscuits… Ça ne nous aide pas à évoluer, ça n’aide pas à se dire qu’on peut faire quelque chose. Avec ATD Quart Monde, je sens que je suis importante, que j’ai ma place dans ce monde. Une place pour combattre quelque chose qui me tient à cœur, la pauvreté. »
David Régnier
ATD Quart Monde est présent au Québec depuis 1982. Des groupes locaux existent dans plusieurs régions et une équipe permanente située à Montréal coordonne les actions. Celles-ci sont menées dans des quartiers défavorisés (bibliothèques de rue, festivals des savoirs partagés), visent la participation citoyenne des personnes en situation de pauvreté (Universités populaires Quart Monde, projets de croisement des savoirs) et l’interpellation de l’opinion publique et du gouvernement (comité sur la loi 112 visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale ; 17 octobre, journée internationale pour l’élimination de la pauvreté).