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Montessori, des beaux quartiers aux enfants pauvres de Noisy

Article paru sur Rue 89 en Mai 2012

Depuis un an et demi, une trentaine d’enfants de Noisy-le-Grand profitent de la pédagogie Montessori. Objectif : lutter contre la reproduction de l’échec scolaire.

Mercredi matin, 10 heures. Chacun de leur côté, une liste de prénoms dans la main, Sylvain Lestien, Morgane Jacinto-Gavira, Agathe Henri et Yveline Picart font du porte-à-porte parmi les bâtiments roses de la cité du Château de France, rebaptisée par ses habitants le « 116 », à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis). Chacun vient chercher quatre enfants, âgés de trois à six ans, pour les emmener au « pré-pivot » d’ATD (Agir tous pour la dignité) Quart Monde.

Sylvain Lestien, animateur dans cette association, explique :

« C’est comme au basket : le pivot reçoit et relance. Le pré-pivot prépare au pivot où on veut donner le goût de l’art, de la peinture, de la lecture aux enfants. »

Objectif du « pré-pivot » : proposer des activités culturelles selon la pédagogie Montessori pendant une demi-journée, deux fois par semaine, afin d’aider l’enfant à s’adapter à l’école. L’échec scolaire se cristallisant souvent dès le CP, il est important que l’enfant prenne confiance en lui en vivant des expériences positives et en réussissant avant ses six ans.

Quatre adultes pour onze enfants

La pédagogie Montessori, conçue par le médecin italien éponyme, repose sur les sensibilités et les centres d’intérêt de l’enfant qu’il faut laisser s’épanouir. L’apprentissage se fait à son rythme et en fonction de ses particularités, de façon à ne pas le décourager ou l’ennuyer. Il faut conserver son enthousiasme et qu’il devienne autonome. Cette méthode s’appuie sur son besoin de grandir et d’apprendre.

Au « pré-pivot », quatre adultes sont présents pour onze enfants. « Il s’agit de s’adapter au rythme de chacun afin qu’il travaille en fonction des ses envies. Il n’y a pas de programme prédéfini », précise Sylvain Lestien. Ces enfants sont souvent stigmatisés à l’école parce qu’ils parlent moins bien ou parce qu’ils sont moins habiles de leurs mains. L’animateur ajoute :

« Nous n’avons pas un objectif d’apprentissage mais plutôt un objectif de construction de la personne. L’enfant doit avoir l’estime de lui-même et bâtir sa relation aux autres.

Le but n’est pas d’obtenir un diplôme mais de devenir un homme construit, un citoyen engagé capable de prendre des décisions. A aucun moment il ne doit se sentir jugé, si ce n’est positivement. »

En 2007, des pédagogues de l’Association Montessori France ont commencé à travailler avec ATD Quart Monde. Patricia Spinelli, secrétaire de l’Association Montessori France et directrice de l’Institut supérieur Maria Montessori, retrace :

« L’idée est née en 2005, au moment des émeutes dans les banlieues. L’Association Montessori France a décidé de sortir cette méthode des beaux quartiers pour aider les jeunes. Elle a alors contacté plusieurs associations, dont ATD Quart Monde. »

Depuis un an et demi, l’association expérimente donc cette méthode, qui vient en renfort de l’école, avec une trentaine d’enfants les mercredis et les samedis. Ils viennent tous d’une famille défavorisée qui a connu l’errance et qui a été relogée dans la cité du « 116 ».

Au total, ce sont une cinquantaine de familles qui ont perdu un logement dans le passé ou qui n’en ont jamais eu. Des foyers blessés qui doivent se reconstruire. Dans cette cité, 120 enfants ont moins de quatorze ans. Sylvain Lestien détaille :

« La misère se transmet souvent de génération en génération. L’école pourrait casser cette chaine mais beaucoup d’enfants des familles très pauvres y sont en échec. C’est dur de travailler à l’école quand on s’y sent mal parce qu’on a honte de l’endroit où on habite ou honte de ses vêtements.

C’est également difficile quand les parents ne s’y investissent pas du tout parce que, étant jeunes, ils y ont trop souffert ou parce qu’ils ne peuvent pas aider leurs enfants à faire leurs devoirs. »

L’objectif est de soutenir la famille et de travailler avec elle pour le bien-être de l’enfant. Avec une méthode utilisée majoritairement en école privée hors contrat en France, faute de financements par l’Etat.

Cette pédagogie correspond aux préceptes d’ATD Quart Monde qui mène des actions culturelles en faveur des plus démunis. Pour le père Joseph Wresinski, fondateur de l’association en 1957, la culture était la clé pour que ces familles sortent de la misère.
Atelier couture ou pelage de pommes

Arrivés au « pré-pivot », les enfants choisissent eux-mêmes ce qu’ils vont faire pendant deux heures. Du côté du coin « jeux », les enfants ont l’embarras du choix : livres, ardoises, jeux en bois, lettres, cubes de différentes tailles… le but est de les préparer à l’apprentissage de l’écriture et des mathématiques.

A côté, une salle ronde baptisée « salle de vie pratique », propose des plateaux de vaisselle, un arrosoir… Les enfants peuvent faire de la mousse, transvaser de l’eau d’un récipient à un autre. Comme des grands. Nawel, 4 ans, nettoie des chaussures à l’aide d’une brosse et de la cire pendant que Jahnyce, 6 ans, coud. Dans la cuisine, Obed épluche des pommes. Sylvain Lestien souligne :

« A cet âge, ils ont envie d’imiter leurs parents. Il faut qu’ils puissent le faire pour de vrai parce qu’on apprend en faisant.

Le but, c’est qu’ils soient autonomes, qu’ils prennent confiance en eux et qu’ils sentent que les autres leur font confiance. »

Une des particularités de cette méthode est le mélange des âges. Les plus jeunes apprennent en regardant les grands et les plus âgés apprennent en expliquant aux plus petits. L’enrichissement est mutuel.
« Reda commence à s’exprimer un peu »

Pour le moment, c’est un « projet pilote », selon Sylvain Lestien. Les accompagnateurs et les bénévoles n’ont pas suffisamment de recul pour s’assurer de l’efficacité de cette méthode. « Ce qu’on permet aux enfants de vivre dans leur petite enfance, on espère que ça portera ses fruits dans leur vie d’adulte », insiste l’animateur.

Déjà des progrès sont visibles. Morgane Jacinto-Gavira, devenue bénévole à la suite d’un stage effectué à ATD Quart Monde, sourit :

« Je vois des évolutions chez des enfants qui s’expriment de mieux en mieux. Il y a un petit garçon de cinq ans qui ne prenait jamais de crayons car il n’arrivait pas à les utiliser. Maintenant, il dessine tout seul. Il est fier de nous montrer ses requins et ses dinosaures. »

Sandrine Pereira est responsable de la petite enfance au centre d’hébergement et de réinsertion sociale d’ATD Quart Monde de Noisy-le-Grand :

« Nesta [le prénom a été changé, ndlr], 5 ans, est un bon exemple. Avant, il courait dans tous les sens. Il était incapable de se poser. Au bout de trois semaines, il a réussi à rester immobile pendant quinze minutes devant des lettres rugueuses. »

Linda est la maman de Reda, 3 ans. Le petit garçon va au « pré-pivot » depuis septembre. Elle aussi a pu constater les progrès faits par son fils :

« Reda ne parlait pas car il avait fait un blocage suite à la naissance de sa petite sœur. Maintenant, il commence à s’exprimer un peu. »

Reste à savoir ce qui des progrès relève de la méthode Montessori en tant que telle, ou de l’attention apportée à ces petits. « Il ne faut pas oublier que les enfants évoluent aussi à l’aide de l’école et de leurs parents », rappelle Evelyne Picart, bénévole à ATD Quart Monde depuis vingt ans.

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