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Mobilisation citoyenne autour du relogement : un combat réussi !

Vous trouvez toujours en fin des Chroniques une Feuille de fait. N’hésitez pas à l’utiliser pour décrire une situation qui vous choque, ce qui pourra vous aider à lancer une mobilisation.

Ci dessous la description d’un combat réussi, riche d’enseignements sur la façon de procéder.

« Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère »

Jeanne habite un logement social dans une commune de l’agglomération bordelaise, au troisième  étage d’un immeuble sans ascenseur. Elle vit là avec sa mère, âgée et très peu mobile, et sa fille, jeune majeure, handicapée psychique et physique, qui marche avec difficulté et utilise souvent un fauteuil roulant.
Jeanne elle-même souffre d’un handicap visuel. Depuis des années, elle demande à son bailleur un logement adapté, mais sans succès. Début 2008, elle se trouve sous la menace d’une expulsion, pour défaut d’entretien de son logement. Sans attendre la décision de justice, Jeanne saisit la commission de médiation DALO, aidée par une personne qui connaît bien la famille.

Finalement, le tribunal administratif déboute le bailleur. La Commission DALO reconnaît la demande de relogement comme prioritaire et demande au bailleur de trouver un logement adapté à la famille. En février 2009, la famille emménage dans un pavillon de plain pied, dans un quartier très excentré.

A partir de cette date, sa vie se transforme en enfer : agressions, vols, insultes, nuisances nocturnes, etc. La plupart des habitants de ce quartier sont victimes d’incivilité et d’actes de délinquance commis par une minorité d’habitants. Tout le monde vit dans la peur, replié sur soi et les rapports de voisinage sont au mieux inexistants, au pire, conflictuels. Les pouvoirs publics se montrent incapables de faire revenir la tranquillité et la sécurité dans le quartier.

« Les Droits de l’Homme sont violés »

La demande de relogement exprimée par Jeanne peine à être entendue par les pouvoirs publics, au motif que les difficultés vécues ne sont pas liées au logement mais au cadre de vie. Ainsi, plusieurs organismes impliqués (mairie, bailleur, association d’accès au logement, etc.) estiment que la priorité est le retour au calme dans le quartier. Reloger Jeanne et sa famille serait donner raison aux fauteurs de troubles. Ils tiennent peu compte des dangers qu’encourt la famille, tant au niveau de la santé, que de sa propre sécurité. Jeanne et sa famille sont aussi victimes de discriminations au titre de l’accès à un logement décent : en effet, la configuration du logement et l’étroitesse de l’ouverture des portes contraignent sa fille à se déplacer sur les fesses et non en fauteuil roulant. Pourtant, le bailleur avait reçu un financement du GIHP (Groupement pour l’Insertion des personnes Handicapées Physiques), pour effectuer des travaux d’adaptation, mais la conformité des travaux n’a pas été contrôlée par le financeur

La famille entretient également des relations très dégradées avec le bailleur social, qui n’ignore pas ses difficultés d’intégration dans le quartier. L’angoisse permanente dans laquelle elle vit amène le médecin à attester que l’état de santé de ces trois femmes se dégrade et qu’elles sont en danger.

« S’unir pour faire respecter les Droits de l’Homme est un devoir sacré. »

Dans ce contexte, en un an, Jeanne est amenée à déposer près d’une vingtaine de plaintes auprès du Commissariat. Malgré quelques rondes de police, le calme ne revient pas pour autant et la police en vient à refuser d’enregistrer de nouvelles plaintes. Une procédure judiciaire est cependant en cours sans qu’on puisse savoir si elle est liée aux plaintes de Jeanne ou à d’autres faits délictueux. Jeanne rappelle au bailleur ses obligations, par exemple de réparer la boîte aux lettres volontairement dégradée.

En lien avec son assistante sociale, Jeanne dépose des demandes de logement auprès d’autres organismes HLM et sollicite le « contingent prioritaire » préfectoral. Au printemps 2009, afin de soutenir Jeanne dans son combat, quelques personnes déjà en lien avec elle lui proposent de constituer un Comité « Solidaires pour les droits ». Ce comité est composé de huit personnes, dont un référent, plus disponible pour accompagner Jeanne dans ses démarches, si elle le souhaite, et la rencontrer en moyenne une fois par semaine.

Les réunions du Comité sont rendues compliquées par le manque de disponibilité de Jeanne en soirée. En effet, elle craint de laisser sa mère et sa fille seules chez elle, à une heure où les actes de violence sont les plus fréquents. Se réunir chez elle ne semble pas judicieux, pour ne pas attirer plus l’attention. Bien malgré lui, le comité se réunit sans Jeanne mais cale un point téléphonique avec elle à la fin de chaque réunion.

En accord avec Jeanne plusieurs démarches sont effectuées : courriers auprès du Préfet, du Président de la Commission de médiation DALO, du maire et prise de contact avec le service logement du Conseil général. Différents rendez-vous sont également planifiés : avec le Commandant de Police, avec la juriste d’Emmaüs 33, spécialiste du droit au logement, avec des élus de Mérignac, avec le GIHP, etc. La précaution est prise d’informer l’assistante sociale de toutes ces démarches. Fin 2009, en l’absence de perspectives positives d’évolution, le comité suggère une démarche auprès du Médiateur de la République.

Accompagnée de son référent, Jeanne rencontre la déléguée de ce dernier. Celle-ci semble comprendre les injustices qui touchent la famille et la gravité de la situation. Elle s’investit fortement pour aider à trouver une solution de relogement : démarche auprès du cabinet du Préfet, courrier au Président de la Communauté urbaine de Bordeaux. Début 2010, elle fait savoir au Comité et à Jeanne que la Préfecture est consciente du problème mais qu’elle ne réussit pas à trouver un logement adapté. Il est même question de saisir à nouveau la Commission DALO mais cette piste est considérée comme un moyen de cautionner l’impuissance des pouvoirs publics et une perte de temps. Alors que, suite à plusieurs arrestations, un calme relatif semble revenu dans le quartier, la situation se débloque au cours de l’été 2010. Le GIHP propose de monter un dossier de candidature pour un logement à T. dans une résidence sociale où les rez-de-chaussée sont réservés prioritairement à des personnes handicapées. La participation du FSL (Fonds de Solidarité Logement) pour la caution ayant été accordée, Jeanne, sa mère et sa fille ont pu déménager fin août et ont ainsi retrouvé une plus grande sérénité.

Les leçons d’une action :
L’expérience de ce Comité démontre l’importance d’une pression constante sur les acteurs concernés, dans la transparence et le souci de communiquer avec les acteurs sociaux environnant la famille, pour stimuler la recherche d’une solution adaptée de relogement. Jeanne souligne que sans cette action collective, elle n’aurait pas pu seule se faire entendre des pouvoirs publics.
Cette action témoigne ainsi de la défaillance des procédures de droit commun, quand bien même le caractère prioritaire de la demande est reconnu.