
Michel Serres : l’homme n’advient que lorsqu’il rompt avec la loi du plus fort
Le philosophe Michel Serres, grand ami des plus pauvres et du Mouvement ATD Quart Monde, est décédé samedi 1er juin 2019.
Dans son discours de réception à l’Académie française en 1991, il avait conclu : « Les vaincus, les pauvres, les enfants, les faibles ne détiennent-ils pas l’ultime sagesse ? »
En 1992, il avait signé l’appel aux Nations Unies pour que le 17 octobre soit officiellement reconnu Journée mondiale du refus de la misère. « Je ne signe jamais aucun appel, nous avait-il expliqué. Mais pour moi, la misère constitue peut-être le plus important de tous les problèmes de notre monde », pour trois raisons qu’il explique ici.
Son existence se situait à la croisée « des expériences vécues par ceux et celles dont les parents n’avaient ni instruction, ni livres, ce qui était mon cas et, surtout, des expériences vécues de ceux qui étaient exclus et à qui le savoir a donné confiance en eux »(1). Lui qui était devenu universitaire et enseignait à La Sorbonne et aux États-Unis conseillait à ses étudiants de lire les écrits de Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde (1917-1988), qu’il n’avait jamais rencontré mais qui, aux yeux du philosophe, avait produit « une pensée qui interrogeait, avec une vivacité surprenante et une force extraordinaire, l’histoire, les sciences humaines, la sociologie, l’économie, la politique, la culture. »
Michel Serres s’était en particulier engagé aux côtés des plus pauvres en acceptant de faire partie du conseil scientifique du programme Quart Monde-Université (1996-1998). À ce titre, il a contribué à faire reconnaître l’importance de croiser la connaissance vécue de la misère avec la rigueur scientifique de la pensée universitaire(2).
Michel Serres invitait en permanence à donner corps aux fondements de nos démocraties en considérant que « toutes les institutions humaines ont toujours oublié comment elles ont commencé : toutes furent fondées pour lutter contre l’adversité. Toutes. Elles furent fondées pour lutter contre la faim et la famine, contre la soif, contre la souffrance, contre l’injustice, contre la violence, contre l’ignorance et contre la misère. »
« Nous n’avons jamais vécu en démocratie dès le moment où nous laissons vivre à côté de nous des hommes détruits par la plus grande pauvreté », disait-il encore.

Notes
(1) : Groupe de recherche Quart Monde-Université, Le croisement des savoirs et des pratiques, Paris, Ed. Quart Monde/Ed. de l’Atelier, 2008.
(2) Ibid.