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« La pauvreté a trop souvent été pensée sans les pauvres »

Pour évoquer la recherche menée par ATD Quart Monde et l’Université d’Oxford sur les nouvelles mesures de la pauvreté, nous avons laissé la parole aux différents acteurs, réunis au séminaire de lancement de Villarceaux le 9 septembre 2016.

« Changer ce qu’on ne peut accepter »

Maryann Broxton, militante d’ATD Quart Monde, participe à l’équipe de recherche américaine :

« Quand des professionnels, des politiques, etc., travaillent avec des personnes en pauvreté, ils les considèrent souvent comme des sujets d’étude, pas comme des participants à part entière.
Comme si ce qu’elles disent n’est valide qu’à partir du moment où un professionnel ou un chercheur approuve. Pourtant, ces personnes savent aussi bien et peut-être mieux que d’autres comment se déroulent les programmes de lutte contre la pauvreté, concrètement, au quotidien, pas seulement sur le papier.
Je suis heureuse que les États-Unis soient impliqués. Notre pays est considéré comme riche. Mais il y a aussi de l’extrême pauvreté, des grandes inégalités, des grandes discriminations, des grandes humiliations.
Je vis moi-même dans la pauvreté. J’élève seule mes enfants. Je me trouve tantôt au-dessus, tantôt en-dessous du seuil de pauvreté. J’ai terminé en mai un cycle d’études dans le domaine des sciences sociales.
La militante des droits de l’homme Angela Davis a dit : « Je n’accepte plus les choses que je ne peux pas changer ; je change les choses que je ne peux pas accepter. » Souvent, on cherche la force d’accepter des choses qu’on ne peut pas changer. Selon moi, on doit plutôt chercher l’énergie de changer ce qu’on ne peut pas accepter. »

« Bouleverser la pensée sur la pauvreté »

Xavier Godinot coordonne la recherche pour ATD Quart Monde :

« Les indicateurs de pauvreté actuels ont une grande faiblesse : ils ont quasiment tous été définis par des économistes sans que jamais les personnes vivant la pauvreté n’aient été interrogées. Le programme que nous lançons est, lui, participatif du début à la fin.
On parle souvent de recherche participative dans le monde universitaire. En réalité, on rencontre des communautés pauvres, on les interroge, on enregistre leurs réponses, les universitaires les analysent et en tirent des préconisations politiques. Vous avez extrait des connaissances de populations qui n’ont aucun contrôle sur ce que vous allez en faire.
Pour cette recherche, nous employons une méthode qu’ ATD Quart Monde affine depuis plus de 20 ans, le Croisement des savoirs. Car les personnes en situation de pauvreté ont un savoir unique, lié à leur expérience – la rue, le chômage de longue durée, le placement des enfants…
Quels résultats attendre de cette recherche ? Imaginons que nous prouvions que la honte soit une dimension de la pauvreté commune à tous les pays. Il faudra alors trouver des indicateurs. Surtout, les politiques devront prendre en compte que la pauvreté génère de la honte qui entrave la capacité à agir – on n’ose pas demander des allocations, réclamer l’accès à la santé, à l’école… Et il faudra qu’ils y répondent : comment faire pour diminuer cette honte ?
En révélant ces nouvelles dimensions, on ouvre de nouveaux espaces de lutte contre la pauvreté. Elle a été trop souvent pensée sans les pauvres. En les ré-introduisant, cela peut profondément bouleverser la pensée sur la pauvreté. »

« Offrir un cadre rassurant »

Chantal Consolini est facilitatrice au côté des personnes en situation de pauvreté dans l’équipe française.

« Il m’a été demandé d’accompagner le groupe des personnes en situation de pauvreté qui seront co-chercheurs. Cela rejoint mon rôle d’animation de l’Université populaire Quart Monde en Île-de-France.
Les personnes qui ont l’expérience de la pauvreté ont aussi celle de l’humiliation. Depuis tout petits, la société leur renvoie qu’ils sont inutiles. Et ils ont parfois fini par le croire. Pour dépasser ça, j’aurai à cœur de leur permettre d’exprimer leur savoir pour les préparer à le croiser avec d’autres, universitaires et praticiens. Il s’agit d’offrir un cadre rassurant et bienveillant, où chacun peut aller au bout de sa pensée, où on s’assure qu’on s’est bien compris.
Nous allons réfléchir ensemble, non pas à partir d’une théorie, mais à partir de leur expérience, faire en sorte qu’on en tire un savoir qui fera avancer les autres. Il faudra tenir, se dire que ce savoir-là est aussi important que celui des chercheurs et des praticiens.
Mon rôle sera aussi de permettre à ces militants Quart Monde d’aller chercher ce que disent et pensent d’autres personnes vivant la pauvreté, dans les universités populaires et ailleurs. Dans cette recherche, j’apprendrai moi aussi encore sur la question de la participation de ceux que l’on entend le moins. »

« Inclure des groupes minoritaires »

Alexie Gasengayire, volontaire permanente d’ATD Quart Monde, coordonne le projet pour la Tanzanie :

« Nous avons déjà 6 personnes, 3 hommes, 3 femmes, dans notre équipe. On a deux praticiens dont une femme qui fait une classe d’alphabétisation pour adultes depuis 15 ans et le directeur d’une école primaire d’un quartier pauvre, deux volontaires d’ATD Quart Monde, un universitaire avec un assistant de recherche…
Notre recherche va se dérouler à Dar-Es-Saalam, la capitale, mais aussi dans des régions rurales. Comment va-t-on recruter les personnes qui vont participer ? On va se rapprocher des autorités locales qui connaissent les familles les plus pauvres. On a aussi des amis du Mouvement sur place.
On va essayer d’avoir des hommes et des femmes, en âge de travailler et à la retraite, des jeunes en âge scolaire. On veut inclure aussi des personnes de groupes minoritaires comme les Maasaï, les albinos, les handicapés.
Quand on aura identifié les familles avec qui on va travailler, on va les visiter individuellement. C’est très important de construire des relations de confiance, de voir si elles consentent bien à la recherche.
On aura aussi accès aux savoirs des universitaires et à ceux des professionnels en contact avec les plus pauvres. On va ensuite les confronter avec les savoirs des personnes qui ont connu la pauvreté. Puis nous essaierons de bâtir un consensus. En Tanzanie, nous sommes prêts, même s’il reste encore des détails. »

« Capter la violence »

Le professeur Robert Walker, qui a notamment travaillé sur la pauvreté et la honte, coordonne le projet pour l’université d’Oxford :

 » J’ai étudié la pauvreté toute ma vie professionnelle. J’ai écouté des personnes en pauvreté et tenté d’insuffler leurs idées dans des politiques. D’une certaine façon, je parlais en leur nom. La grande différence avec ce projet, c’est qu’aujourd’hui je travaille à côté d’elles, et si je parle d’elles c’est comme des amis.
La force de ce travail est de mettre les gens ensemble avec leurs différentes expériences. Cela ne s’est jamais fait sur une telle échelle, avec des pays riches et moins riches. Nous pourrons ainsi nourrir un débat global, plus seulement national.
Quand les gouvernements parlent de pauvreté, ils pointent un manque de revenus, de ressources matérielles. Ils ne s’interrogent guère sur les conséquences. Or ce sont les conséquences que les gens ressentent au jour le jour. Par exemple, ils ont l’impression d’être de mauvais parents car faute de moyens, ils doivent toujours dire non à leurs enfants. C’est cette violence-là qu’il faudra capter.
Cette recherche commence avec les expériences directes de la vie en pauvreté. Puis nous allons construire dessus, croiser les différentes formes de connaissances, voir ce que nous avons en commun et de divergent. Ce n’est qu’avec cette richesse de compréhension que les gouvernements pourront répondre au défi d’éradiquer la pauvreté.
Nous allons tous apprendre en cheminant. Il va falloir beaucoup nous écouter, partager nos expériences. Puis demander à ceux qui lisent notre travail : « Cela vous semble-t-il vrai ? Si oui, alors utilisez-le ! »

Dossier réalisé par Jean-Christophe Sarrot et Véronique Soulé

 

Photo du haut : Alexie (à droite)  au séminaire de Villarceaux le 9 sept 2016 (ph. Carmen Martos)