Entrez votre recherche ci-dessous :

Les visages d’ATD Quart Monde – Marie-France Zimmer : « Ce jour-là, j’ai commencé à rouvrir ma bouche »

Marie-France Zimmer, 57 ans, vit près de Nancy. Depuis 1988, elle est de tous les combats d’ATD Quart Monde.

Son caractère rebelle se révèle dès le plus jeune âge : « Mes parents n’étaient pas riches. Maman était bonne dans une famille à Paris et je vivais surtout avec mes grands-parents. Quand je voyais quelque chose de pas juste, je le disais. En CP, la maîtresse mettait chaque jour un enfant au fond de la classe et je m’asseyais à côté de lui. Un jour, elle en a eu assez et a demandé à ma mère de me changer d’école. »

Dans sa nouvelle école (privée), Marie-France reçoit aussi des punitions, mais elle conclut fièrement : « J’ai eu mon brevet des collèges, ce qui n’était pas rien à l’époque ! »

Trente-deux fractures

Elle travaille ensuite en usine, puis suit des cours du soir de sténodactylo. Devenue secrétaire médicale, elle se marie et a deux enfants. « J’ai divorcé et ça a été le début des gros soucis, explique-t-elle. Peu de temps après, en 1987, alors que je démarrais une formation de secrétaire de direction, j’ai été renversée par une voiture qui a grillé un feu. »

Trente-deux fractures. Sept opérations. La famille ne perçoit que 65 francs (10 euros) d’allocations familiales chaque mois. Elle squatte un logement délabré. « Au bout d’un moment sans travailler, se souvient Marie-France, je me suis mise dans la tête que je n’étais plus capable de rien, que je n’avais droit à rien. On vivait avec l’angoisse du coup de sonnette de l’huissier, de l’EDF, de l’assistante sociale… »

La Brigade des mineurs débarque périodiquement pour regarder s’il y a à manger dans le frigo. « On m’a menacée plusieurs fois de placer les enfants. Mais pour eux, j’aurais tué père et mère. J’ai accepté et parfois demandé à l’assistante sociale des mesures d’assistance éducative pour éviter le placement. Une fois où l’on m’accusait de frapper les enfants, un pédopsychiatre m’a défendue en disant que c’était faux, que j’étais une mère normale. »

Volets fermés

La secrétaire de la compagnie d’assurances intervenue suite à l’accident découvre que la famille habite un squat. Elle mobilise des proches et avec Marie-France, ils parviennent à trouver un vrai logement.

« Je vivais sans ouvrir mes volets, poursuit-elle. J’emmenais les enfants à l’école en regardant par terre et sans parler à personne. J’avais honte de la manière dont on vivait. Une personne d’ATD Quart Monde m’a repérée et a commencé à venir toquer à ma porte. Elle m’a proposé un jour d’aller visiter Paris avec les enfants et d’autres familles de Nancy. C’était fin 1988. »

Le groupe visite aussi à Méry-sur-Oise (Val d’Oise) le centre international d’ATD Quart Monde. On projette un film sur la vie du fondateur du Mouvement Joseph Wresinski. « Ce jour-là, dit Marie-France, en découvrant cet homme, j’ai compris que je n’étais pas seule dans mon cas, que je n’étais pas forcément responsable de tout ce qui m’arrivait et que j’étais un être humain à part entière. J’ai commencé à rouvrir ma bouche. »

New York

Depuis, elle est dans tous les combats d’ATD Quart Monde, à Nancy, avec l’expérimentation de la carte santé 54, ancêtre de la CMU (couverture maladie universelle), dans les années 1990, puis, récemment, avec la création de la mutuelle « Accès santé » (lire ci-dessous).

Capture du 2016-05-11 terEn 1994, elle a participé à un congrès international du Quart Monde à New York. « Pour les gens d’Afrique, les Français étaient des gens riches. En fait, on a découvert les uns les autres que la pauvreté existait partout, même en Suisse, ce que j’ignorais !… Et qu’on voulait tous que nos enfants aient à manger, aillent à l’école, qu’ils soient bien habillés et s’en sortent mieux que nous. »

Des familles d’Haïti expliquent que certaines d’entre elles préfèrent donner leurs enfants pour qu’ils aient une vie meilleure. La voix de Marie-France tremble : « ça me restera toute la vie : que tu puisses être pauvre au point d’être obligé de donner tes enfants ! »

Parler à part égale

Ce qui l’attache à ATD Quart Monde ? « Que nous, militants, on puisse parler à part égale avec d’autres et qu’on soit entendu, que ça soit repris par d’autres. Ailleurs, on demande surtout aux gens de témoigner, mais rarement de vraiment réfléchir ensemble comme ici. »

« Quand on parle entre nous, je dis que ma vie est une vie de merde, résume-t-elle en riant. Aux autres, je dis que c’est ma vie, point. Je ne mets pas d’adjectif. Par exemple, j’ai toujours détesté qu’on dise « RMIste ». Quand tu touches le RSA (revenu de solidarité active) ou les allocations chômage, tu es considéré comme un inutile, un encombrant… J’ai une vie bien remplie, de galères, mais aussi de joies, de plein de choses peut-être plus dures que d’autres. Mais je suis encore là, c’est la preuve que ma vie n’est pas si nulle que ça ! »

Jean-Christophe Sarrot

Photo : Marie-France Zimmer en juillet 2013 (ph. Edouard Sepulchre)

Capture du 2016-05-11 15:51:29