
Les visages d’ATD Quart Monde – Maria Théron : « Je ne suis plus seule dans ma misère »
Maria Théron s’est engagée dans les années 1980 dans la branche jeunesse du Mouvement ATD Quart Monde. Depuis plusieurs années, elle participe à l’Université populaire Quart Monde de Champagne Ardenne et à des co-formations(1). En 2012-2013, elle a été membre du 8e collège du CNLE(2).
Estimez-vous être sortie de la misère ?
Quand on n’a pas d’emploi et qu’on vit des aides sociales, on ne peut pas dire qu’on est sorti de la misère. Ce qui a changé depuis mon engagement à ATD Quart Monde, c’est qu’avant, je vivais dans ma petite misère, je pensais que personne ne souffrait plus que moi. Maintenant, je vis ma misère et celle des autres. C’est devenu collectif. À l‘Université populaire Quart Monde, je me suis rendu compte qu’il y avait plus malheureux que moi. Avant, je vivais dans la misère et j’étais seule. Maintenant, j’en suis sortie dans le sens où je ne suis plus seule.
Même si les conditions matérielles ne s’améliorent pas, la vie change tout de même ?
Oui, on n’est plus enfermé dans sa propre misère. Mais la misère est encore là, tant que la société ne nous considère pas autrement. Tu as des droits, mais on te les refuse ; on ne te reconnaît pas comme un citoyen, mais comme une personne qui dépend de l’État.
Que pensent vos enfants de votre engagement à ATD Quart Monde ?
Ils me sentent attachée à quelque chose qui me tient à cœur. Ils savent que je ne me bats pas que pour moi, mais aussi pour les autres. Je suis fière de laisser une petite trace quelque part. Quand mes enfants promènent leurs enfants dans le centre-ville de Reims et qu’ils leur montrent la dalle gravée en l’honneur des victimes de la misère, ils leur disent : « La grand-mère a contribué à cette dalle. »
Quand vous siégez au CNLE ou quand vous participez à une co-formation, qui « représentez »-vous ?
Celles et ceux qui ne peuvent pas s’exprimer, qui sont oubliés, qui n’osent pas parler. Quand je parle, ce n’est pas pour moi. C’est plus important d’avoir une parole collective.
Comment faites-vous pour connaître la vie des personnes que vous représentez ?
Depuis des années, j’aide des gens dans mon quartier ou dans ma famille à faire des démarches, des dossiers de surendettement, à obtenir un rendez-vous médical, etc. Je connais bien leur vie.
Est-ce que vous travaillez ?
Je travaillais comme femme de ménage, mais depuis deux ou trois ans, je n’arrive plus à trouver de travail. Je continue de chercher. Si je trouve, je devrais réduire mon engagement à ATD Quart Monde, mais ne ne pourrais jamais m’en détacher tout à fait. J’ai entrepris une Validation par les Acquis de l’Expérience (VAE) pour obtenir une qualification de médiateur social. Ça sera ma revanche sur la vie, car je n’ai pas pu faire d’études.
Vos conditions de vie se sont-elles améliorées ces dernières années ?
Un petit peu. Quand je participe à une co-formation, je suis rémunérée. Ça permet de mettre quelques sous de côté et par exemple de partir une fois en vacances. Mais ça ne permet pas de vivre. C’est pour cela que je cherche du travail et aussi parce que j’ai besoin d’être active.
Vos enfants connaissent-ils une meilleure vie que vous ?
Je parle beaucoup avec eux. Mes trois fils travaillent, mais je trouve que c’est tout de même plus dur pour eux. L’emploi est moins stable qu’avant. Moi, je pouvais me permettre de changer de travail, j’en retrouvais un assez facilement. Aujourd’hui, non : les gens doivent accepter ce qu’on leur donne.
Propos recueillis par Jean-Christophe Sarrot