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« Lorsque je pars en vacances, je laisse mes soucis chez moi »

La Maison de vacances familiales de La Bise d’ATD Quart Monde accueille des familles en grande précarité mais aussi des personnes seules et marginalisées. Reportage.

Les vacances touchent à leur fin. Dans le hall d’entrée, c’est l’agitation des grands jours. Des pensionnaires descendent leurs draps dans de grands sacs à linge. D’autres, déjà prêts, attendent sagement assis, leurs bagages contre eux, la personne qui doit venir les chercher.

Sur le gravier, devant la maison où le soleil commence à chauffer, plusieurs font leurs adieux à l’équipe – les quatre permanents de La Bise, le cuisinier bénévole et les deux « accueillants », des personnes solidaires qui participent à l’animation du séjour.

Derrière les fanfaronnades, l’émotion affleure. Isabelle fait une grande accolade à Marius, l’un des permanents, et écrase discrètement une larme. Son amie Nat (pour Nathalie), qui rentre avec elle à Grenoble, presse le pas vers la voiture. Ses yeux brillent un peu trop. Derrière ses grosses lunettes, Gwen, le benjamin du séjour, regarde les uns et les autres, le sourire un peu triste.

Socialement marginalisés

Ils sont neuf à quitter La Bise ce 25 mai 2016 après un séjour d’une semaine. Plusieurs vont retrouver des maisons relais qui accueillent des personnes fragiles, ayant besoin d’être accompagnées. S’ils n’ont pas connu la misère, la plupart sont isolés et marginalisés sur un plan social.

A l’origine, La Bise a été ouverte en 1978 pour accueillir des familles du Quart Monde issues de la grande pauvreté. Longtemps, la société avait considéré que les vacances étaient du luxe pour elles, comparé aux problèmes urgents qu’elles avaient à résoudre – se loger, manger, etc. Avec Joseph Wresinski, son fondateur, le Mouvement s’est battu pour faire reconnaître qu’elles y avaient droit et que c’étaient pour elles des moments importants, permettant de se ressourcer et de se reconstruire en famille.

Au fil du temps, la maison, imposante bâtisse en pierres au pied du Jura, s’est ouverte à d’autres publics, notamment à des personnes seules, souvent oubliées dans les dispositifs d’aides aux vacances.

Ateliers culinaires

Ludovic est arrivé par le biais de l’Aventure culinaire, des week-ends proposés à des publics fragiles durant lesquels on fait les courses puis on prépare ensemble les repas du samedi soir et du dimanche midi. L’occasion d’apprendre à bien se nourrir et de se retrouver autour d’un événément convivial. La Bise accueille régulièrement ces ateliers.

 » J’ai découvert La Bise comme ça, explique-t-il, ici, tout me plaît.  » Ludovic adore le jardinage. Il aime aussi les balades à travers champs avec l’âne de La Bise.  » Dès que j’ai l’occasion, je pars en vacances. Quand je ferme la porte de chez moi, je laisse mes soucis dedans « , résume-t-il.

Isabelle et Nat sont assises à ses côtés dans la vaste salle du premier étage où il ne manque rien pour des vacances réussies – canapés, bibliothèque, babyfoot, billard, coin-jeux pour enfants, etc. Elles sont venues par le Local des femmes de Grenoble, une association qui accueille des femmes en errance.

Toutes deux perçoivent l’allocation d’adulte handicapé. Pour le séjour, elle ont reçu des aides, essentiellement des chèques vacances via ATD Quart Monde, et n’ont eu à débourser que 30 euros chacune – le séjour revient à 40 euros par jour. D’autres pensionnaires ont payé jusqu’à 75 euros.

« Ce que j’ai aimé ici, c’est la bienveillance de l’équipe et avoir pu venir avec mes deux chiens, explique Isabelle qui dit avoir tout connu, l’alcool, la drogue, etc. Et puis en vacances j’oublie tout, mes problèmes de loyers, les papiers, l’administration…  »

Atelier couture

Alors que Nat fait la désabusée, Isabelle est une active : elle ne rate pas les déjeuners hebdos du Local des femmes, milite à l’association des Morts de la rue… A La Bise, elle s’est passionnée pour l’atelier couture :  » ça m’a même donné envie d’acheter un machine à coudre.  »

Ateliers photos ou bois, expression vocale, balades à pied, visites… Les vacanciers ont eu le choix des activités. Chaque séjour est soigneusement préparé par l’équipe en fonction du public attendu.

Lors de l’évaluation en fin de séjour, Elisabeth, « accueillante » avec son mari Jean-Paul, confie avoir pris un réel plaisir à animer l’atelier photos et à faire de la reliure. Elle a apprécié aussi la poésie de Sonia, qui raconte toutes ses journées dans un petit carnet.

Monique, permanente, évoque  » les sourires et la joie de Patrick », sourd-muet. Isabelle, la responsable de La Bise, loue  » la capacité des vacanciers de s’adapter aux autres dès le premier soir « .

Gospel et variétés

Fatigués par les médicaments, certains avaient du mal à bouger de leurs chambres. Mais pour la soirée finale, il n’y a pas eu besoin de les motiver. Tous étaient là. Isabelle, la responsable, avait fait venir la fanfare de rue Les Play Mobiles, imbattable pour adapter des tubes de variétés comme de gospel.

 » Ils viennent répéter à La Bise où ils ont de la place et ils nous offrent des soirées « , explique-t-elle. Très forte pour chauffer les salles, elle les accompagne souvent dans leurs spectacles.

Infatigable, Gwen a dansé seul toute la soirée. Isabelle a invité chacun à danser. Animateurs, pensionnaires, « accueillants », cuisinier… Tous se sont mêlés sur la piste. Une femme tournoyait pieds nus sur le parquet, légère, aérienne, comme déchargée de tous ses soucis.

Véronique Soulé

Photo : soirée de fin de séjour le 24 mai 2016 à la maison de vacances familiales d’ATD Quart Monde à La Bise (Jura).