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Les visages d’ATD Quart Monde – Murielle Gelin : « On n’est pas riche, mais on a des idées »

Militante Quart Monde à Rennes, Murielle Gelin a participé à l’expérimentation OSEE et fait partie du conseil d’administration d’ATD Quart Monde.

Murielle se souvient parfaitement de la première fois où elle a entendu parler d’ATD Quart Monde, il y a treize ans. Sa vie est à ce moment-là « comme une descente aux enfers ». Suite à un signalement de l’hôpital, les services sociaux veulent placer le dernier de ses quatre enfants, âgé de 5 ans, en raison de son poids « en dessous de la norme ». Totalement affolée, Murielle en parle à la maîtresse de son fils, qui lui conseille de contacter une volontaire permanente présente dans le quartier, Antoinette. Le lien est ensuite rapidement fait avec des avocats, des médecins et des psychologues qui, tous, constatent que l’enfant est déjà correctement suivi par la Protection maternelle et infantile et par le médecin traitant de la famille. « Mais la machine était lancée. Une enquête a été menée et nous avons été convoqués au tribunal », se souvient-elle.

Le jour de la rentrée au CP, alors que Murielle est encore dans la cour de l’école pour accompagner son enfant, elle reçoit un appel des services sociaux indiquant qu’une famille d’accueil a été trouvée. Le monde s’écroule alors autour d’elle. « J’ai arrêté de payer mes factures. Je me disais que cela ne servait plus à rien, puisqu’on me prenait tout. Je ne payais plus que la nourriture, en me disant qu’on ne pourrait plus me reprocher de ne pas donner à manger à mes enfants », explique-t-elle. Soutenue par des volontaires et des alliés d’ATD Quart Monde, elle obtient quelques jours de répit pour souffler avec ses enfants à la maison de vacances familiales du Mouvement, la Bise, dans le Jura.

Éviter le placement

Puis c’est avec soulagement qu’elle apprend que le placement est finalement écarté et que des éducateurs viendront régulièrement chez elle. « C’est ce qu’ils auraient dû faire avant de me menacer de le placer. Pendant quelques années, les éducateurs sont venus régulièrement, mais ils ne comprenaient pas vraiment pourquoi ils étaient là. Ils voyaient bien que mon gamin ne manquait de rien, que c’était propre chez moi et qu’il y avait des choses dans mon frigo. Ils ont finalement vu que cela ne servait à rien et qu’ils seraient sûrement plus utiles ailleurs », explique Murielle, d’un air faussement résigné.

Mais ces événements ont laissé des traces et ravivé des blessures. Murielle a en effet elle-même été placée à l’âge de trois ans dans une famille d’accueil, en raison de maltraitances de la part de ses parents. « Au tribunal, il m’ont dit que c’était à cause de mon enfance. Ils ont ressorti mon dossier de la Ddass (Direction départementale des affaires sanitaires et sociales). Ils m’ont remis tout ça sous le nez. Et bien sûr, pour eux, c’était forcément moi le problème, la mauvaise mère. Il n’y avait aucune question sur le père. Pourtant, même si nous étions séparés, il avait encore des contacts avec les enfants », se désole-t-elle.

Connaître ses droits

Elle retrouve peu à peu une certaine stabilité et participe à de plus en plus d’actions avec ATD Quart Monde, comme les Bibliothèques de rue et le projet CIPES (Choisir l’inclusion pour éviter la ségrégation). Elle apprécie particulièrement les échanges avec les professionnels lors des Universités populaires Quart Monde. « Ils croient souvent que, parce qu’on est pauvre, on n’a rien dans le ciboulot. Moi je dis toujours : on n’est pas riche, mais on a des idées et c’est comme ça qu’on peut changer les choses. »

Après un parcours scolaire et professionnel chaotique, elle reprend confiance en elle. « En raison de problèmes de santé, je ne suis allée à l’école que très tard. À 8 ans, je suis arrivée en maternelle. Mais, quand on vient de la Ddass, c’est compliqué. On ne s’occupait pas de moi, on me rabaissait. J’ai eu un CAP de couture, mais cela ne me plaisait pas », décrit-elle. Elle travaille ensuite très tôt, dans des usines de textiles du Nord, qui ferment les unes après les autres. Puis elle enchaîne les « petits boulots », jusqu’au jour où, à 21 ans, elle se retrouve à la rue, sans aucun soutien de l’Aide sociale à l’enfance (ex-DDASS). « J’ai squatté à droite à gauche. Quand on est une femme sous les ponts, on risque notre vie toutes les cinq minutes », souligne-t-elle, sans s’attarder sur cette période de sa vie.

En 2020, elle décide de se lancer avec ATD Quart Monde, Murielle dans le projet OSEE (Osons les Savoirs de l’Expérience de l’Exclusion) : une année de formation pour apprendre à valoriser ses compétences, à se remettre à niveau et à se préparer à présenter sa candidature dans une formation qualifiante, dans les domaines de l’intervention ou de l’animation sociales. Elle avoue en avoir « bavé » pendant cette formation, en plein confinement, mais cela l’a aidée à trouver le courage de passer son permis. Elle réussit ensuite un concours pour entrer à La Poste et commence, en juillet dernier, un CDD de huit mois, son « premier boulot stable ».

Depuis deux ans, elle fait aussi partie du conseil d’administration d’ATD Quart Monde. « Je suis là pour tous les militants Quart Monde de France, j’aimerais bien faire davantage remonter leur parole », explique-t-elle. Elle invite ainsi plus particulièrement les militants Quart Monde de Rennes à se regrouper pour « dire ce qui va et ce qui ne va pas, pour faire changer les choses ». Avec eux, Murielle aimerait notamment créer un livret rappelant à l’État ses obligations et détaillant à chacun les droits et aides auxquels il a droit, pour ne pas « se faire broyer par le système ».

Ce portrait est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de janvier 2023.

Photo : Murielle Gelin à la Maison Quart Monde de Rennes en décembre 2022. © JCR, ATD Quart Monde