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Idées Fausses : « Les pauvres sont tellement cassés par la misère qu’ils n’ont plus les moyens de s’en sortir » C’est faux !

Faux. La pauvreté détruit une partie des capacités des personnes, mais ces capacités peuvent renaître si la pauvreté cesse.

« La misère paralyse les facultés intellectuelles de l’homme, elle rétrécit sa vision sur la société », analysait déjà Joseph Wresinski en 1985[1]. Lorsque l’on vit dans la précarité ou la pauvreté, on souffre de ne plus avoir prise sur sa vie et celle de ses proches[2], on doit constamment faire face à l’urgence et à des situations d’injustice et de mépris destructrices pour l’estime de soi. Les mauvaises conditions matérielles, l’isolement social, le sentiment d’impuissance dégradent la santé des personnes[3].

Les travaux d’Esther Duflo et Abhijit Banerjee[4] et d’autres chercheurs confirment que les personnes en situation de pauvreté ont leur intelligence tellement accaparée par la survie quotidienne qu’elles deviennent performantes pour faire face à cette urgence permanente, mais que leurs moyens cognitifs s’en trouvent atteints pour réussir d’autres tâches et qu’elles adoptent plus souvent que d’autres des comportements renforçant leurs difficultés[5]. Vivre dans la précarité et la pauvreté serait comme être privé de sommeil. Ce n’est pas que les personnes souhaitent rester pauvres, c’est que, même avec la volonté d’en sortir, leurs capacités sont amputées – en plus du fait qu’elles sont victimes de discriminations.

La perte de capacités est plus liée à la situation qu’aux personnes. Ces travaux indiquent en effet que, lorsque celles-ci déchargent leur esprit de l’obsession de la survie quotidienne, cela leur permet de « sortir du tunnel » et de libérer des ressources qu’elles peuvent consacrer à d’autres tâches (idées fausses 68 et 93). Les scientifiques expliquent qu’un environnement sécurisant permet au cerveau de produire de la dopamine, de la sérotonime et de l’adrénaline, substances qui renforcent nos capacités.

C’est ainsi que l’on voit, sur les Territoires zéro chômeur de longue durée, des personnes privées d’emploi depuis plusieurs années prendre, une fois retrouvé un CDI, une part active au développement d’une entreprise[6]. Autre exemple : dans une évaluation des « Maisons des Familles »[7], les Apprentis d’Auteuil indiquent que « des processus de réassurance, de redynamisation, de restauration de la confiance en soi et de sa capacité d’agir sont observables dans les parcours d’un certain nombre de parents[8]. » Mais il faut aussi du temps pour que les personnes reprennent confiance en elles-mêmes et dans les autres, d’autant que les difficultés à résoudre sont parfois multiples.

[Article mis à jour en décembre 2019]

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[1]  J. Wresinski, Culture et grande pauvreté, Paris, Éd. Quart Monde, 2004.

[2] L. Eriksson, J. Mahmud Rice, R. E. Goodin, « Temporal Aspects of Life Satisfaction », Social Indicators Research, 2007

[3]  Voir par exemple le chapitre « Surpeuplement des enfants : une cicatrice à vie » du rapport 2018 de la Fondation Abbé-Pierre ; J.-F. Serres, « Combattre l’isolement social pour plus de cohésion et de fraternité », Cese, 2017. Voir aussi les travaux de Martin Seligman sur l’impuissance apprise, ce sentiment d’impuissance permanente qui a des effets sur le comportement et la santé de la personne, effets qui peuvent être contrecarrés par des expériences positives. Voir enfin l’étude de N. Snyder-Mackler, J. Sanz, J. N. Kohn, J. F. Brinkworth, S. Morrow, A. O. Shaver, J.-C. Grenier, R. Pique-Regi, Z. P. Johnson, M. E. Wilson, L. B. Barreiro, J. Tung, « Social status alters immune regulation and response to infection in macaques », Science 354, 2016, qui montre qu’il existe un lien fort entre système immunitaire et situation sociale.

[4]  E. Duflo, A. V. Banerjee, Repenser la pauvreté, Paris, Le Seuil, 2012, chap. 6.

[5] S. Mullainathan et E. Shafir, Scarcity: Why Having Too Little Means So Much, New York, Times Books, 2013 ; D. Bourguignon, D. Desmette et alii, « Activation du stéréotype, performance intellectuelle et intentions d’action : Le cas des personnes sans emploi », Revue internationale de psychologie sociale, 2007 ; J. Sheehy-Skeffington, J. Rea, How poverty affects people’s decision-making processes, Joseph Rowntree Foundation, 2017.

[6] D. Goubert, D. Le Guillou, C. Hédon, Zéro chômeur. Dix territoires relèvent le défi, Ivry-sur-Seine, Éd. Quart Monde/Éd. de l’Atelier, 2019.

[7]  Lieux d’accueil et d’échange pour les familles, inspirés par une expérience québécoise et initiés en France en 2009 par les Apprentis d’Auteuil. Chacun peut partager son expérience de parent et trouver de l’entraide et des soutiens. On dénombre 13 Maisons des Familles en France en 2018.

[8]  ASDO Études, « Évaluation de l’impact social des Maisons des Familles – Apprentis d’Auteuil », 2018.