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Idées Fausses : « Les pauvres ont des droits, mais ça va avec des devoirs » C’est vrai !

C’est vrai. Les personnes confrontées à la pauvreté aimeraient bien pouvoir assumer leurs responsabilités comme les autres.

« Fin 2017, note une étude[1], 83 % [des bénéficiaires du RSA] sont orientés vers un parcours d’insertion par les collectivités territoriales chargées de l’insertion des bénéficiaires du RSA sur leur territoire. » L’orientation proposée est soit vers Pôle emploi (pour environ 44 % des cas en 2017), auquel cas la personne doit définir un projet personnalisé d’accès à l’emploi, soit vers un autre organisme avec lequel la personne signe un contrat d’engagement réciproque.

Dans l’esprit de la loi de 1988 instaurant le RMI, il n’y avait pas de conditionnalité à son versement, cette allocation ayant été conçue non comme une relation « donnant-donnant » avec le bénéficiaire, mais comme un soutien « plancher » et inconditionnel aux personnes en précarité, supposées aussi désireuses que les autres d’assumer leurs responsabilités et, en particulier, de travailler.

« La circulaire [circulaire DIRMI no 93-04 du 27 mars 1993] précise que « l’engagement du bénéficiaire dans les actions d’insertion n’est pas la contrepartie de l’allocation » ; il en est seulement une condition que le législateur a entouré de réelles garanties pour les personnes concernées[2] ». Le contrat d’insertion RMI signalait surtout l’obligation faite à la société de tout mettre en œuvre pour soutenir l’allocataire dans son projet d’insertion.

Mais au fil des années, on a glissé peu à peu vers l’idée que le RMI, puis le RSA, serait une aide qui se mérite, réservée aux « bons pauvres » qui s’engagent dans un contrat unilatéral et remplissent leurs « devoirs » . Et, de fil en aiguille, la société a de moins en moins bien rempli sa part au fil des années, en ne mettant pas assez de moyens dans l’accompagnement socio-professionnel et en ne créant pas assez de formations et d’emplois pour celles et ceux qui en sont privés. Le rapport de la Cour des comptes « Pôle emploi à l’épreuve du chômage de masse » de juillet 2015 montre par exemple que Pôle emploi stimule et relance moins les personnes au chômage depuis plus d’un an que celles qui sont plus proches de l’emploi.

Les chercheurs Bernard Gomel et Dominique Méda s’interrogent : « Tout se passe comme un jeu de rôles dans un théâtre où l’on obligerait les allocataires à singer la recherche frénétique d’emploi alors qu’il n’y a pas d’emplois – ou du moins d’emplois dignes de ce nom. […] En l’absence d’emplois, la mécanique des droits et devoirs, même mise en œuvre de la façon la plus humaine possible, peut se transformer en instrument de torture morale[3]. »

Le sociologue Serge Paugam conclut : « Responsabiliser les pauvres ne doit pas conduire à déresponsabiliser la société dans son combat contre la pauvreté. […] Est-ce normal que les moins qualifiés soient aussi les moins protégés en termes de couverture sociale ? Est-ce normal que les enfants des milieux défavorisés soient condamnés à échouer dans le système scolaire sans avoir la chance d’acquérir les bases nécessaires à leur intégration sociale ? Est-ce normal que les moins qualifiés aient moins accès à la formation continue que les plus qualifiés[4] ? »

Les plus pauvres ont des devoirs et des responsabilités, certes, encore faudrait-il leur procurer un réel accès à l’emploi et aux droits fondamentaux.

[Article mis à jour en décembre 2019]

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[1]   « L’orientation et l’accompagnement des bénéficiaires du RSA », Minima sociaux et prestations sociales, Drees, 2019.

[2]  J.-C. Barbier, « Comparer insertion sociale et workfare ? », in La Contrepartie : les expériences nationales, RFAS, no 4, 1996.

[3]  D. Méda, B. Gomel, « Le RSA, innovation ou réforme technocratique ? Premiers enseignements d’une monographie départementale », art. cit..

[4] S. Paugam, N. Duvoux, La Régulation des pauvres, Paris, PUF, 2008, p. 73-74.