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Les objectifs de la Stratégie de lutte contre la pauvreté sont « enterrés profondément »

La Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, présentée en septembre 2018 par le président de la République, contenait des mesures ambitieuses. Deux ans après, le groupe de travail  créé par ATD Quart Monde pour suivre leur mise en œuvre regrette que cette Stratégie ait « disparu du débat public ».

Le 13 septembre 2018, pour la première fois, un président de la République, Emmanuel Macron, affichait sa volonté non pas simplement de réduire la grande pauvreté, mais bien de « l’éradiquer ». La Stratégie nationale qu’il présentait devait permettre la mise en œuvre d’une politique globale de lutte contre la pauvreté en prenant en compte tous les droits fondamentaux. Un an après, la réalisation concrète des mesures annoncées se faisait attendre.

Deux ans plus tard et après une crise sanitaire majeure, « on se demande si le projet ne va pas rester dans un tiroir », s’interroge Évelyne Sonet, militante Quart Monde de Bordeaux. Avec quatre autres militants Quart Monde, elle fait partie d’un groupe de travail créé par ATD Quart Monde pour analyser l’avancée des mesures de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté et, si besoin, rappeler ses engagements au chef de l’État.

« La crise nous montre l’urgence »

Tous ont conscience que le confinement et la crise du Covid-19 ont compliqué  sa mise en œuvre, mais regrettent qu’elle soit aujourd’hui mise de côté. « L’objectif d’éradiquer la grande pauvreté ne sera pas atteint, parce que les moyens financiers ou humains qui devraient être mis sur la table ne le sont pas et que l’urgence sanitaire dans laquelle nous nous trouvons éloigne encore les échéances de cette Stratégie de lutte contre la pauvreté. La crise nous montre l’urgence et pointe avec force le manque de moyens mis en place pour éradiquer la misère. L’État se retrouve face à une réalité qu’il n’avait pas vraiment appréhendée jusque-là », constate Nathalie Monguillon, militante Quart Monde de Dijon.

« On a l’impression que la Stratégie a disparu du débat public, qu’il n’y a plus de réelle volonté de garder le cap d’une éradication de la grande pauvreté », ajoute Évelyne Sonet. « Elle a été stoppée net au moment du confinement et, depuis, on ne voit rien », souligne également Henry Vigourt, militant Quart Monde de Reims. La Stratégie contenait pourtant « des mesures bien conçues, comme le développement de la cantine à 1 euro, mais ces objectifs sont en train d’être enterrés encore plus profondément qu’avant », indique Françoise Hamel, militante Quart Monde de Bordeaux.

Comme d’autres participants au groupe de travail, elle regrette cependant que la Stratégie de lutte contre la pauvreté soit « une des grandes oubliées du plan de relance », annoncé par le gouvernement le 3 septembre. « Cela ne va pas dans le bon sens. Certaines mesures du plan de relance concernent les personnes en situation précaire, mais il n’y a rien pour les plus pauvres. La grande pauvreté est ignorée », souligne Lucienne Soulier, militante Quart Monde de Dijon.

Le mal-logement est une urgence

Les membres du groupe de travail dénoncent en outre la disparition du secrétariat d’État à la lutte contre la pauvreté. « Nous n’étions déjà pas pris en compte avant le Covid, et c’est encore moins le cas aujourd’hui. Comment pouvons-nous nous défendre si on ne compte pas pour le gouvernement, pour les institutions ? » s’interroge Lucienne Soulier.

Tous estiment en outre qu’une question a été pour l’instant complètement oubliée : le mal-logement. « On a vu avec la crise que ce point est trop peu mis en avant. Le mal-logement est une urgence, alors que, dans les plans du gouvernement, il semble être une question parmi d’autres, comme si on avait du temps pour traiter ce problème », s’alarme Nathalie Monguillon.

La Stratégie nationale avait également pour ambition d’améliorer la participation des personnes concernées. Là encore, le bilan est mitigé. « Les groupes thématiques en région avaient bien commencé, mais tout a été arrêté et pour l’instant rien n’a repris », souligne Françoise Hamel. Le 5e collège du CNLE (Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale), dont font partie plusieurs membres d’ATD Quart Monde, doit en outre être consulté sur les mesures à mettre en place dans le plan de relance, un mois après la présentation de ce dernier. Nathalie Monguillon tient cependant à rappeler que ce collège est désormais composé de 34 personnes en situation de pauvreté et que le CNLE montre une réelle volonté de travailler à partir du savoir des personnes concernées. Mais sera-t-il vraiment écouté ?

Seule avancée concrète, la Stratégie préconisait « d’essaimer les expérimentations » comme Territoires zéro chômeur de longue durée. L’Assemblée nationale a en effet adopté le 16 septembre son extension à 50 nouveaux territoires dans les mois qui viennent, une fois que le texte sera adopté au Sénat. Un chiffre encore insuffisant pour ATD Quart Monde, mais « un signe positif pour une très belle initiative, dont on ne parle pas assez », constate Évelyne Sonet.

Inquiétudes pour les jeunes

Le groupe de travail se réunit désormais pendant plusieurs séances pour analyser un point concret de la Stratégie nationale, afin d’avancer des propositions. Le dernier thème décortiqué concerne l’accompagnement des jeunes. « C’est sur ce point que nous voyons le moins de moyens déployés. Nous sommes assez inquiets sur les mesures mises en place en urgence pour ce que le gouvernement appelle les ‘décrocheurs‘ », constate Nathalie Monguillon. « Des mesures sont mises en œuvre pour les étudiants précaires, mais il faut en prévoir pour ceux qui ont plus de mal à apprendre, sinon ils sont mis de côté », regrette Lucienne Soulier. Après avoir travaillé sur la notion de « droit à l’échec » pour les jeunes, le groupe propose la mise en place d’un référent unique de confiance pour aider les jeunes dans toutes leurs démarches et leur permettre de redevenir acteurs de leurs parcours.

À l’image de la présidente d’ATD Quart Monde, Marie Aleth Grard, les militants Quart Monde du groupe de travail attendent désormais « un signal » de la part du gouvernement, pour montrer que les différents ministères concernés sont bien au travail avec le même objectif en tête, éradiquer la misère. Julie Clair-Robelet