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« Les misérables sont les fantômes de la société ». Hommage à une résistante

«La misère, c’est l’injustice personnifiée. » Voilà l’une des réflexions recueillies dans les rues de Libourne. Elle fut prononcée par un homme de 67 ans et lue, samedi, par Francine, adhérente des Amis du monde diplomatique, l’une des associations libournaises du Collectif du refus de la misère (1), à l’occasion de la Journée nationale de la misère, célébrée ce 17 octobre. Vingt-trois ans après l’appel lancé depuis le Trocadéro par le père Joseph Wresinski, fondateur du mouvement ATD Quart-monde, dont la parole est inscrite dans la pierre de la stèle du refus de la misère, sur les allées Robert-Boulin (« Sud Ouest » du 14 octobre). Répétons-la : « Là où les hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les respecter est un devoir. »

Selon l’Insee, quelque 8 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté (908 euros) en 2007, dont 2,4 millions de moins de 18 ans. Dans le Libournais, Bernard Lion, directeur du Lien, confirme que la situation est dramatique. Cent soixante-dix personnes ont été hébergées dans ses locaux cette année. Mais d’autres « accidentés de la vie » n’osent pas révéler la précarité quotidienne de leur existence.

Trois ans dans la rue

S’il y a un message à retenir de cette journée, c’est celui-là : la misère ne doit pas devenir une fatalité. « On ne pourra sans doute pas l’éradiquer mais, au moins, lutter pour y parvenir. Collectivement, on doit pouvoir trouver de solutions », insistait Bernard Lion.

Témoigner en est une. Telle était la volonté du Collectif et de Thérèse Lacaze, responsable d’ATD Quart-monde à Libourne.

Ainsi, Michel s’est glissé dans la petite foule rassemblée devant la stèle, petits pas par petits pas, les deux mains accrochées à son déambulateur comme un naufragé à la planche de bois qui flotte. Michel est SDF (sans domicile fixe). Il a vécu pendant trois ans dans la rue. Il a connu le froid, la faim. Il lui est arrivé de ne pas manger pendant quatre ou cinq jours et de se voir refuser un bout de pain par un boulanger. Michel parle dans un murmure, sans colère, de sa vie misérable. « C’est comme ça ! », dit-il. Le Lien et le CCAS (Centre communal d’action sociale) lui ont trouvé un hébergement. « Le plus difficile, expliquait Bernard Lion, c’est d’arriver à construire un projet de vie avec ces personnes qui vivent depuis longtemps dans la rue et ont perdu tous leurs repères sociaux et communautaires. »

Une rencontre décisive

Refuser la misère est un combat de chaque instant pour ces hommes et ces femmes. François Hervé (ATD Quart-monde), viticulteur retraité, âgé de 74 ans, demeure à Villegouge. Il est ce qu’il appelle un « allié » dans l’association. Il y a les militants, les volontaires et les alliés. Voilà vingt ans, il a rejoint ATD Quart-monde, mais son engagement remonte encore plus loin dans le temps. Avec la rencontre d’un clochard qui venait vendanger sa propriété. « Moi, viticulteur bourgeois, il m’a humanisé, raconte-t-il. Il a changé mon regard sur la société. Les pauvres incarnent une richesse que je ne soupçonnais pas. La résistance, le pardon, l’espérance… » D’une voix douce, François Hervé parle de « révélation » et avoue croire en l’homme, malgré tout. « L’homme est un remède pour l’homme. C’est cet espoir qui me guide. Oui, il y a toujours la misère mais quelque chose a changé. Ce rassemblement aujourd’hui (NDLR : samedi) devant la stèle n’aurait pas été possible il y a quelques années. Je crois que personne n’est insensible à la misère ». Comme le dit cette femme de 40 ans : « Les misérables sont les fantômes de la société ».

(1) Le Collectif du refus de la misère se compose de 15 associations : Acat, Alliance, Amis du monde diplomatique, Amnesty international, ATD Quart-monde, Attac en Libournais, CCFD, Croix-Rouge française, Entraide protestante, Groupement d’entraide mutuelle (GEM), Ligue des droits de l’homme (LDH), Secours catholique, Secours populaire français, Saint-Vincent-de-Paul.

La 23e édition de la Journée mondiale du refus de la misère, samedi, fut également l’occasion d’inaugurer la rue Geneviève-Anthonioz-de-Gaulle, en présence notamment du maire, Gilbert Mitterrand, et du député, Jean-Paul Garraud. L’idée en avait été lancée par Christophe-Luc Robin, il y a sept ans, en Conseil municipal, juste après le décès de cette remarquable résistante que fut la nièce du général de Gaulle.

Dominique Lemoine, adjointe déléguée au patrimoine, qui préside la commission municipale de dénomination des voies, cita d’ailleurs l’élu de l’opposition, auteur d’un dictionnaire des rues de Libourne : « Derrière les plaques de rue, est inscrite en filigrane l’histoire des communautés. »

Tant par son engagement dans la Résistance que par son action comme présidente d’ATD Quart-monde, Geneviève Anthonioz de Gaulle méritait cet hommage ce jour-là.

Des membres du Collectif libournais du refus de la misère ont lu plusieurs témoignages émouvants, recueillis auprès de personnes vivant dans la précarité. En voici des extraits.

Lu par le Secours Catholique « En septembre 2008, j’ai trouvé un travail à 668 euros dans le nettoyage. Avant, je travaillais dans des emplois précaires. J’avais des dettes et j’étais menacé d’expulsion pour des loyers impayés. Une assistance sociale m’a aidé financièrement et m’a donné de la nourriture. J’ai fait une demande de curatelle pour ne pas perdre mon loyer et recevoir ma fille. Le Secours catholique m’a payé un loyer et m’a donné des bons alimentaires. Ma situation s’est améliorée. J’ai obtenu un CDI. Mais je reviens toujours au Secours catholique, car j’ai besoin de leur écoute […]. »

Lu par le Groupement d’entraide mutuelle « Suite à des problèmes de santé, je me suis retrouvée avec une pension d’invalidité. Ma santé et mes ressources financières m’ont mise en marge de la société, malgré mes efforts. Le GEM m’a permis de retrouver le goût de vivre, confiance en moi et de réaliser des projets. » Paroles de la rue « La misère, c’est le fait de se sentir seul et isolé. » « Les misérables sont ceux qui ont perdu leur liberté. » « Tous ceux qui sont oubliés ou ignorés sont des misérables. » « La misère : perdre sa voix et l’envie de penser. » « La misère, c’est se sentir étranger dans son propre pays. »

Article d’ALAIN MONTANGUON (a.montanguon@sudouest.com) paru dans le journal Sud-Ouest le 20 octobre 2009.