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Les aventures de Maryse au Pôle Emploi

Ce qui suit n’est pas de la fiction. N’hésitez pas à réagir en bas de page…Maryse ouvrit la boîte à lettres comme chaque jour, avec la peur au ventre. Elle avait l’habitude des mauvaises surprises qui l’attendaient au courrier presque quotidiennement.

Pas de cartes postale de Tahiti, mais ce pouvaient être des factures plus lourdes que prévues, des lettres en recommandé qui n’étaient jamais de bonnes nouvelles, des mises en demeure ou encore des erreurs de la part de la CAF qui lui demandait un trop perçu ou des ASSEDIC qui lui annonçaient la fin de ses allocations de chômage…

C’est ainsi quand on vit sous la dépendance des administrations : il n’y a jamais de repos ni de répit. Jamais de tranquillité d’esprit où l’on peut se reposer et se dire : « Bon, là maintenant je suis en sécurité, j’ai de quoi vivre et nourrir ma famille, j’ai de quoi voir venir et assumer les erreurs administratives et les factures imprévues avec sérénité. »

Si déjà elle pouvait se dire : « Bon, j’ai de quoi nourrir la famille jusqu’à la fin de la semaine et payer mes factures », ce serait déjà une forme de paradis. Mais les prélèvements bancaires, les dettes, les étalements de factures à payer tous les mois, la menace d’être fichée à la Banque de France, les huissiers…

Encore faut-il avoir des revenus réguliers ! Ce n’est pas le cas de Maryse. Parfois, elle a un peu de travail, parfois ses enfants sont malades ou bien elle déprime et n’arrive pas à se lever de bonne heure pour se rendre à son stage d’insertion ou à son poste en CAE (contrat aidé).

Car du travail, elle n’en a pas régulièrement et donc, ses revenus sont aléatoires et fluctuants. Parfois, elle perçoit des allocations d’ASSEDIC ou le RMI (maintenant RSA, bien plus compliqué qu’avant). La CAF lui demande de justifier ses revenus tous les mois, le Pôle Emploi la convoque pour lui demander de justifier ses recherches d’emploi… Elle doit se justifier sans arrêt comme si elle était coupable de quelque chose. Coupable de quoi ? D’être pauvre et de santé fragile, d’avoir du mal à s’en sortir ? D’avoir eu un accident de vie dans sa jeunesse ? De s’être retrouvée seule avec ses enfants ???

Elle se sent mal à l’aise devant sa boîte aux lettres comme devant l’employée qui l’a culpabilisée l’autre jour de n’avoir pas assez de pièces justifiant ses recherches d’emploi, de n’avoir pas assez écrit de lettres et de CV – mais à quoi ça sert un CV, s’il en arrive tous les jours des dizaines et que vous n’avez pas de facilités pour la rédaction des lettres ? En plus, on sait bien que ça ne marche plus d’écrire…

Elle fait ce qu’elle peut Maryse, elle se bat pour s’en sortir, mais c’est un parcours du combattant tous les jours et l’on n’a pas le droit de baisser les bras et de dire « Ouf ! Je suis fatiguée ! » C’est chaque jour un nouveau combat.

Ca y est, elle le savait ! Encore une lettre du Pôle Emploi qui la menace de radiation. Pourtant, elle est allée hier leur expliquer pourquoi elle n’avait pas pu venir à la réunion. Son petit était malade et elle n’avait personne pour le garder. Ils font quoi les employés du Pôle Emploi, quand leur enfant est malade ? Ils prennent un congé ou se payent une nounou parce qu’ils ont un salaire et des droits… Quand on n’a pas de salaire, ni de travail, on n’a pas de droits ???
On n’a que le droit de se taire et d’obéir. On est en tort de toutes façons ! On peut venir à toutes les réunions, les convocations, parce qu’il paraît qu’on n’a que ça à faire !

Elle sent la colère monter. C’est injuste. Elle va lui dire à la femme du Pôle Emploi !… Mais elle se souvient tout à coup qu’elle ne peut pas téléphoner puisque la ligne vient d’être coupée pour non paiement…
Quant au portable, elle n’a pas eu de quoi racheter une carte pour le recharger. Elle va devoir prendre le bus ou le train, car elle n’habite pas à côté !

Ca va lui prendre l’après midi. Il faut se dépêcher, ils ferment à 16h.
Elle va devoir faire la queue longtemps (les chômeurs ça ne manque pas), debout devant le guichet où l’employée est assise, elle, et expliquer son cas. On lui donnera l’autorisation d’expliquer « son cas » une deuxième fois en utilisant le téléphone au milieu de la salle, là bas.

– « Non, Madame, un conseiller ne peut pas vous recevoir. Il faut demander un rendez-vous et vous serez « convoquée ». On ne peut plus recevoir les gens comme ça », trop de travail… »

« Travail » : un mot à ne pas trop prononcer devant un chômeur, ça risque de le mettre en colère.

Alors, elle prendra le combiné, fera le 3949 et tout le monde entendra sa conversation… Le 39-quelque chose, ces fameux numéros où l’on tombe sur une boîte vocale qui vous demande de faire d’abord le numéro du département de résidence puis de vous munir de votre numéro d’identifiant… Puis vous devrez choisir quelle est la raison de votre appel et faire le 1 ou le 2 ou autre et attendre jusqu’au bout l’énumération des choix.
Si vous ne trouvez pas tout de suite la bonne réponse, si vous trompez, vous revenez à la case départ et vous n’avez plus qu’à recommencer ce petit jeu de patience.

C’est un jeu que notre société vient d’inventer pour éviter d’être confrontée au public trop directement.

Il faut beaucoup de contrôle à Maryse pour ne pas s’énerver, pour garder son calme. Elle sait que tout ceci est fait pour décourager les gens et les pousser à renoncer à leur demande. Alors elle pense à ses enfants, s’arme de courage et reste impassible devant la voix qui lui dit : « Il y a une minute d’attente »… « Cette fois, c’est mon jour de chance, ils n’ont pas dit : « Tous nos conseillers sont occupés, rappelez ultérieurement ! » », se dit-elle pour se réconforter. Ca, pour patienter, elle patiente, elle n’a pas le choix, sa vie et celle de sa famille en dépendent.

C’est comme ça qu’elle vide son forfait téléphonique à chaque fois !

Hier, il a fallu rappeler EDF pour qu’ils rebranchent l’électricité et France Télécom également. « Eh bien, ma carte de téléphone y est passée », explique-t-elle à sa voisine qui connaît bien les mêmes problèmes.

« C’est du harcèlement », dit-elle, exténuée à l’idée de tout ce qu’elle devra faire cet après-midi pour simplement qu’ils ne lui coupent pas ses allocations de chômage, car ce serait la fin ! Plus de chômage, plus de revenus et c’est à nouveau le cercle infernal. Il faudra encore courir voir l’assistante sociale, lui expliquer « son cas » et « quémander » un secours quelconque. Elle se sent envahie d’émotions, de peur, de colère, de tristesse…

Et comment faire autrement ? Elle en assez de demander de l’aide, elle aimerait bien que tout redevienne comme avant et pouvoir retrouver son équilibre et son indépendance. Ils ne roulaient pas sur l’or, mais avec deux salaires même ridiculement bas, ils s’en sortaient tout juste sans rien demander à personne.

« Mais on ne choisit pas, c’est comme ça », dit-elle à sa voisine en rentrant chez elle avec son courrier brûlant dans les mains… Elle pense tout à coup qu’elle va devoir demander à quelqu’un de prendre les enfants à l’école, elle ne sera pas à temps pour la sortie. Sinon, on va encore lui faire des remarques, parce qu’on aura dû les mettre à la garderie, elle n’était pas là à l’heure… Et ses enfants auront honte que l’on réprimande leur mère devant les copains… Encore et toujours se justifier !

Maryse se sent seule. Pourtant, elle ne l’est pas. Il y a des milliers de personnes qui souffrent de la même déshumanisation des services administratifs et de notre société en général. De leur côté, les employés ne sont pas tous inconscients et agressifs. Beaucoup font souvent ce qu’ils peuvent et disent qu’ils manquent de temps et de personnel.
Si l’on rencontre directement les responsables de votre dossier, ils vous répondent souvent aimablement et vont tenter de trouver une solution. Rien ne vaut le face à face.

A condition d’avoir pu passer les barrières de la plate forme téléphonique, des employés d’accueil qui renvoient votre problème à plus tard ou vous demandent d’écrire (un courrier qui souvent n’est pas lu ou pas enregistré à temps, alors que les courriers automatiques de radiations sont déjà partis, par exemple). Mais on tombe parfois sur les revêches, les coincés et ceux qui pensent que vous profitez de la situation.

Les administrations seraient-elles devenues de grosses machines incontrôlables où plus personne n’est responsable de ce qui se passe et où l’on laisse sous entendre de façon pernicieuse que vous êtes forcément un profiteur, un paresseux, voire un escroc !?…

Les médiateurs de la République, ces personnes que l’on trouvent dans les mairies ou les préfectures sont chargées de régler les rapports bloqués et les conflits qui ne manquent pas de se produire entre le public et les administrations françaises.

Le médiateur principal a produit un dossier accablant sur les rapports déshumanisés, sur ces fameuses plates-formes téléphoniques où le public n’est jamais écouté ni les demandes prises en considération. Elles ne servent qu’à canaliser les rares individus agressifs dont les employés de la Sécu ou de Pôle emploi ont si peur.

Mais la plupart des personnes en difficulté gardent leur calme , même si elles se sentent mal considérées, mal accueillies : tant de maltraitance et de mépris vis-à-vis de ceux que l’on pourrait nommer les plus « fragiles » mais qu’il faut plutôt appeler les plus « forts » parce qu’il faut beaucoup de force, de courage et de résistance pour se faire entendre et pour survivre dans de telles conditions !!!

Françoise Daudeville, 25 juillet 2010

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