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L’entretien d’explicitation: être formée et après ? (Lettre n°61)

Début juillet et fin octobre 2014, le Mouvement m’a proposée une formation sur l’entretien d’explicitation. Comment par cette technique d’écoute, de relance de questions, peut-on amener celui qui parle à retrouver un   souvenir positif de son expérience, et surtout prendre conscience d’un savoir faire ou savoir être qu’il semblait  ignoré. J’ai eu beaucoup de difficultés à me lancer au sein même de cette formation. Mais tous les jours, je peux mesurer l’aide que m’apporte cet outil dans ma pratique. Surtout pour moi avec les professionnels qui   m’entourent et qui ne partagent ma vision de l’Éducation pour la réussite de tous. Enseignante en CLIS (classe d’Inclusion Scolaire), chaque jour, on m’interpelle entre deux portes, dans la salle des maîtres pour parler des  comportements de « mes » élèves.

Depuis deux ans, j’enseigne dans la même école, avec le même référent péri-scolaire. J’échange beaucoup avec lui pour essayer d’atténuer les difficultés. II souffre professionnellement de ne pas parvenir à faire « obéir » certains élèves. L’an dernier, je restais debout, et j’essayais d’expliquer ma manière de faire face à certains comportements, je tentais de donner mes trucs pour désamorcer les conflits ( voix plus calme plutôt que de crier, demander à tous les élèves de s’exprimer sur la situation… ). Mais rien ne changeait. Et chaque jour, un nouvel  événement rendait ce temps périscolaire « très très compliqué. »

Depuis la rentrée de septembre 2014, les discussions commencent encore dans un couloir, debout. Le référent  péri-scolaire est fatigué et excédé. Mais quand je sais que je vais avoir le temps (30 à 45 minutes), nous  continuons dans une pièce où nous serons seuls finalement. Je le laisse parler, puis je lui demande s’il en est d’accord de revenir sur une situation en particulier. Parfois c’est moi qui propose l’exemple que j’aimerais  approfondir.
En avril, je n’étais pas d’accord avec l’avertissement rédigé pour un élève de la classe. Quand j’ai lu le document, j’étais très dépitée. Après deux ans, cet élève était encore montré du doigt car « sa déficience on peut comprendre, mais ses comportements non, c’est fini. » J’ai laissé passer quelques jours pour m’entretenir avec lui. Nous avons  commencé une discussion ordinaire où les deux points de vue étaient diamétralement opposés (la différence entre intégration, inclusion, les troubles de comportements qui sont un réel handicap et qui nécessitent un accueil  particulier). Comment ce jour-là, Laurent sentait que son vase avait débordé ? A quel moment ?

Au lieu de parler de ma vision de la situation précise, je l’ai laissé préciser son point de vue, son ressenti, ce qu’il a perçu. Je n’ai jamais évoqué ce que j’en pensais ou supposais. Je reprenais ses mots à lui, pour qu’il ré-entende ce qu’il avait dit. Il ne s’est pas senti « celui qui ne sait pas », qui demande l’aide d’une institutrice spécialisée. Il  semblait plus serein, et riait à la fin. De lui-même, il a perçu qu’écrire cet avertissement le 10 avril n’aurait aucun  impact positif. Nous arrivions à nous dire très calmement que cela allait encore stigmatiser cet élève qui est  envahi par sa mésestime de lui-même.

Cette année, nous arrivons à nous parler autrement, alors que la situation est bien plus difficile. Comme si c’était un saut qualitatif, une autre forme de rencontre : beaucoup plus sur la profondeur de ce que crées certaines situations déstabilisantes, que sur la résolution immédiate d’un problème. Le dialogue n’est pas cassé, il aurait pu. Je ne cherche plus à améliorer le quotidien, mais à ce que Laurent s’entende dire comment il vit, comment il   pourrait mieux le vivre, quelles sont les réussites malgré tout, car il y a des progrès pour cet enfant. Je ne sais pas  si cela change beaucoup de choses pour le référent péri-scolaire, mais pour moi oui. Lui parler ainsi me permet  d’être plus empathique, comprendre l’autre et parvenir ensemble à construire un même objectif pour le long  terme, à mettre de la distance sur des journées difficiles.

Delphine Druet
Enseignante en CLIS