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Le syndicat UNSA Education se saisit de la grande pauvreté à l’école

« Pauvreté, grande pauvreté et démocratisation scolaire » : l’UNSA Education avait choisi de consacrer une matinée à ce thème le 15 septembre dernier. Une façon pour le syndicat de mobiliser ses troupes face au fléau de l’école française – les inégalités – et de se préparer aux campagnes électorales de 2017 qui s’annoncent rudes pour les « assistés ». Parmi les intervenants, Marie-Aleth Grard, d’ATD Quart Monde.

Jean-Paul Delahaye, l’ancien bras droit de Vincent Peillon, premier ministre de l’Education du quinquennat Hollande, et Marie-Aleth Grard, vice-présidente d’ATD Quart Monde, étaient les deux grands témoins de cette matinée. Ils ont répondu aux nombreuses questions de la salle. Très attentive et manifestement concernée par le sujet, l’assistance comptait quelque 150 personnes, issues des 22 syndicats de l’éducation de l’UNSA réunis en conseil national.

Pour donner la mesure du problème, Jean-Paul Delahaye est revenu sur l’étude inédite qu’il a signée sur la pauvreté à l’école, intitulée « Grande pauvreté et réussite scolaire » : « 1,2 millions de jeunes vivent dans la grande pauvreté, soit un sur dix en moyenne. Or on parle beaucoup moins de ces enfants-là que des classes bilangues …»

« Solidarité à l’envers »

Non seulement le sujet est quasi invisible dans les medias et les discours, a-t-il poursuivi, mais les injustices et les inégalités scolaires croissantes ne suscitent aucun vent de révolte. « Touchez une ligne au programme d’histoire en terminale S et vous verrez le déferlement d’éditos… », a-t-il ajouté, allusion à la polémique qu’il y avait eue face à un projet de supprimer l’histoire dans cette classe d’ « élite ». Même François Hollande s’en était ému…

Exemple des inégalités flagrantes qui ne choquent pas grand-monde : alors même que les fonds sociaux, destinés à aider les élèves de familles défavorisées, ont décliné – passant de 73 millions d’euros en 2002 à 32 millions en 2012 –, les crédits pour les « colles » en classes prépas ont augmenté. Les avantages fiscaux pour les familles payant des petits cours à leurs enfants ont aussi été préservés.

« Est-ce qu’il n’y aurait pas une solidarité à l’envers ? Qui sont vraiment les assistés dans ce pays ? », a lancé Jean-Paul Delahaye sous les applaudissements. L’ancien directeur des affaires scolaires au langage si prudent avait prévenu : désormais à la retraite – il est passé inspecteur général honoraire de l’Education nationale -, il va dire les choses.

M.A Grard et J.P Delahaye au conseil national de l'UNSA Education
M.A Grard et J.P Delahaye au conseil national de l’UNSA Education

Leviers

L’ex-collaborateur de Vincent Peillon, qui fut l’un des hommes clés de la Refondation de l’école, assure que pour en finir avec cette école championne des inégalités dans les pays développés de l’OCDE, « les leviers sont connus » : concentrer les moyens au début de la scolarité sur les publics les plus fragiles, avec par exemple la scolarisation des moins de trois ans ou encore le « Plus de maîtres que de classes », réformer l’éducation prioritaire, augmenter les aides financières (les fonds sociaux mais aussi les bourses), etc.

Dans le cadre de la loi de Refondation de juillet 2013, plusieurs de ces mesures ont été mises en œuvre, s’est-il félicité, avec plus ou moins de difficultés.

Mais pour mesurer leur efficacité, il faudra du temps. Et y en aura-t-il assez ? L’incertitude sur les échéances politiques à venir a pesé sur la réunion. On a senti souffler un vent d’inquiétude face aux déclarations des candidats à la primaire de la droite, en pleines surenchères passéistes sur l’école.

Fossé

Marie-Aleth Grard, qui représente ATD Quart Monde au Conseil économique, social et environnemental (CESE), a ensuite évoqué le fossé qui s’est creusé entre l’école et les familles de milieux défavorisés.

« Les parents ont du mal a venir à l’école, a-t-elle déploré, pourquoi ne pas leur proposer d’assister à un moment d’apprentissage dans la classe de leur enfant ? Ils sentiraient ainsi que leur rôle d’éducateurs est reconnu, qu’ils peuvent parler d’égal à égal avec les enseignants, et ils interrogeraient plus facilement leurs enfants sur ce qui se passe en classe. »

Revenant sur les principales préconisations de l’Avis qu’elle a remis au CESE, intitulé « Une école de la réussite pour tous » , Marie-Aleth Grard a souligné l’importance de former les enseignants « à la connaissance de ces milieux sociaux » qu’ils ne connaissent pas. Or ils vont les côtoyer dans leurs classes et « se former permet de mieux se comprendre ».

A l'issue de la réunion, les questions étaient nombreuses
A l’issue de la réunion, les questions étaient nombreuses

Pédagogies

Enfin, elle a rappelé que « toutes les pédagogies ne se valaient pas » et que celles prônant la coopération entre élèves, la bienveillante et un traitement personnalisé des élèves profitaient à tous, sans entacher la réussite des bons élèves, souvent de milieux plus favorisés.

Citant ses nombreuses visites sur le terrain, elle a ajouté que « lorsque dans un établissement, les enseignants travaillaient ensemble, cela se passait mieux ».

Les questions de la salle ont renvoyé aux préoccupations du moment : la misère de la médecine scolaire, où les postes ne trouvent pas preneurs, la mise en place des nouveaux rythmes scolaires, dans des conditions très inégales sur le territoire, le manque de mixité sociale et scolaire et les nombreuses résistances pour y remédier, la dématérialisation en cours à l’école, qui handicape les parents les plus fragiles…

Mixité

Sur ce dernier point, Marie-Aleth Grard a mis en garde contre les risques de marginalisation des familles dans la précarité : « Imaginez des parents repartant avec leurs clés USB autour du cou mais ne sachant où la brancher . Le problème est que cette dématérialisation n’a pas été réfléchie avec ces familles. »

Sur la mixité, Jean-Paul Delahaye a évoqué une condition incontournable selon lui : « il faut garantir aux parents qu’il y a la même offre scolaire partout. Sinon les plus aisés ne voudront pas envoyer leurs enfants dans des collèges » réputés plus faibles, avec moins d’options.

A la question de savoir s’il fallait inclure dans la carte scolaire les écoles privées (à 90 % catholiques), qui choisissent leurs élèves, il a répondu net : « c’est impossible car contraire à la Constitution. En revanche, on peut très bien faire dépendre les moyens alloués par le Recteur à ces écoles de leur composition sociale  .»

« La question de la pauvreté et des inégalités doit être au coeur du débat présidentiel, a conclu Lauren Escure, le secrétaire général de l’UNSA Education, car il s’agit de savoir quelle école et quelle société on veut construire. » Pour que les militants se saisissent du sujet, la fédération syndicale va élaborer et diffuser une série de documents. Puis elle présentera ses positions et ses revendications aux candidats à la présidentielle.

Véronique Soulé

Voir le dossier sur L’école de la réussite pour tous dans Feuille de route, le mensuel d’ATD Quart monde, de juin  2015 .