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« Le plus dur avec le chômage, ce sont les journées »

Le 15 octobre, Premery, petite ville de la Nièvre, a organisé une grève du chômage. Objectif : soutenir la loi qui va passer la semaine du 23 novembre à l’Assemblée nationale et qui permettra à l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée de se mettre en place. Instantanés de cette journée.

Ce matin-là, il pleut à Premery (2000 habitants). Le thermomètre ne dépasse pas les dix degrés. Ils sont pourtant une petite cinquantaine à être venus emmitouflés dans des parkas, avec la chasuble bleue Territoires zéro chômeur longue durée.
Vers 10 heures, le petit groupe s’ébranle pour aller soutenir les piquets de grève postés dans deux endroits symboliques : le terrain où l’on prévoit de faire du maraîchage, et l’usine désaffectée où s’installera la future entreprise subventionnée qui créera des emplois. La marche avance au rythme du tambour de l’ancien garde champêtre.
Dans la rue principale, de nombreux magasins sont fermés. L’arrivée de Carrefour a fait mal au commerce local – un grand classique. Pour aller au terrain, on monte sur un chemin boueux, les parapluies s’entremêlent, mais la bonne humeur est là.

La pluie n'a pas découragé les grévistes et les habitants solidaires qui partent défiler (F.P.)
La pluie n’a pas découragé les grévistes et les habitants solidaires qui partent défiler (F.P.)

« Je ne suis pas véhiculé »

En chemin, Jérémie Le Provost, 40 ans, qui tient une banderole, raconte :
« Je suis chômeur depuis plus d’un an maintenant. Ca y est, je passe au RSA (revenu de solidarité active). A la base, je suis « enseigniste ». Pendant dix ans, j’ai posé des enseignes. Il suffit pas d’apporter l’enseigne au client, il faut l’installer, la relier à l’électricité. On compte pas les heures. Quand un magasin doit ouvrir le lendemain, il doit ouvrir…
Je travaillais dans la Région parisienne. Il y a quatre ans, je suis venu ici parce que ma mère était malade. Je voulais être près d’elle. Mais il n’y a pas de travail. J’ai bossé dans des chantiers d’insertion. Et puis ça s’est arrêté.
Pour chercher du travail, c’est difficile, je ne suis pas véhiculé. J’ai tenté de passer le permis – Pôle emploi me l’a payé. Mais j’ai raté deux fois le code. Je voudrais re-tenter, ce serait pour ma pomme. Et puis l’auto-école a fermé ici, il faut aller plus loin. Et je ne suis pas véhiculé… »

Jérémie Le Provost, au RSA: "On a envie d'y croire" (V.S.)
Jérémie Le Provost, au RSA: « On a envie d’y croire » (V.S.)

« Sans ce projet, je partirais »

Il n’y aurait pas ce projet-là (Territoires zéro chômeur de longue durée), poursuit Jérémie, je crois que je partirais. Je me rapprocherais de ma mère qui est dans une maison médicalisée près de Clermont-Ferrand – j’ai un frère là-bas. Mais je me dis que ça vaut le coup d’essayer.
Moi je suis prêt à tout faire. J’ai aussi une petite idée. Garder des animaux, les gens ne savent pas quoi en faire quand ils font des choses. Comme un chenil, mais ça pourrait être pendant une heure, un jour, des semaines… Je pourrais faire aussi autre chose. Pour l’instant, on n’a pas discuté de ça dans le projet.
Le plus dur avec le chômage ? Les journées, oui ce sont les journées, elles sont longues. Je suis content que vous me posiez la question, il faut le dire, ça. »

Le cortège arrive sur le terrain de Premery où des piquets de grève débroussaillent et bêchent (F.P.)
Le cortège arrive sur le terrain de Premery où des piquets de grève débroussaillent et bêchent (F.P.)

Jardins ouvriers à l’abandon

On arrive sur le terrain de 2 hectares qu’une habitante de Premery va mettre à disposition du projet Territoires zéro chômeur de longue durée. « Avant, explique-t-elle abritée sous un parapluie, on le louait aux usines Lambiote, c’étaient des jardins ouvriers. Mais elles ont fermé. Les gens ont vieilli. Ils ne viennent plus guère. »
« On a identifié plein de choses à faire, explique Jacques Legrain, le président de la Communauté de communes Entre Nièvres et Forêts, engagée dans le projet avec la localité de Châteauneuf-Val-de-Bargis. Dans les cantines, on sert une fois par mois des repas préparés avec des produits locaux. La viande ça va, mais on manque de légumes. D’où l’idée du maraîchage. On ferait aussi des groseilles, des framboises et des fraises, qu’on vendrait en paniers. Un autre travail en vue : pour faire fonctionner la Nièvre, il faudrait mettre les berges à nu et replanter des essences locales sur 400 kilomètres de rives… »
Sur le terrain, deux piquets de grève sont au travail – en grève, les chômeurs bossent… David Redouté, un grand maigre, un peu perdu dans son ciré, débroussaille avec ardeur, le casque rabattu devant le visage. Les photographes le mitraillent. En contrebas, un autre chômeur bêche un lopin.

David Redouté, avec sa fille Gladys, voudrait se lancer dans le maraîchage (V.S.)
David Redouté, avec sa fille Gladys, voudrait se lancer dans le maraîchage (V.S.)

«Des moutons, des poules et une ruche d’abeilles »

Plus tard, dans le grand garage de la mairie qui sert de QG au mouvement, David Redouté explique ses attentes. Elles sont immenses.
« J’ai 47 ans, je crois à fond dans le projet. Ca fait des années que je suis au chômage, je pourrais pas vous dire depuis quand exactement. J’en étais arrivé à me dire que c’était fini pour moi, je voulais laisser la place aux jeunes. Mais maintenant, je me dis que j’ai 47 ans et que je ne suis pas si vieux que ça. Ce que je me vois faire ? Du maraîchage, avec un coin jardinage, des moutons pour tondre la pelouse, des poules et des canards, et aussi une ruche d’abeilles… »
Pour la photo, il pose tout fier avec sa fille Gladys, 15 ans, qu’il tient par la main. Sa femme aussi est venue le soutenir, avec son fils. Durant le déjeuner qui clôt la manifestation, il s’active, aide à débarrasser, prépare le café, attentionné, apparemment heureux de se retrouver avec d’autres.

L'usine qui fournissait du travail alentour est fermée depuis 2002 (V.S.)
L’usine qui fournissait du travail alentour est fermée depuis 2002 (V.S.)

Paysage désolé

La deuxième halte de la matinée est le vaste entrepôt désaffecté qui sera le siège de l’ entreprise conventionnée. Si la loi d’expérimentation est effectivement adoptée, celle-ci bénéficiera des fonds publics dépensés jusqu’ici pour indemniser le chômage, qu’elle utilisera pour financer des emplois locaux dont les territoires ont besoin.
Juste en face de l’entreprise que l’on va symboliquement inaugurer, se dresse l’usine Lambiote de carbonisation du bois qui fournissait des emplois alentours. Les dernières années, une entreprise chimique avait pris le relai. Jusqu’à ce qu’elle ferme à son tour. L’odeur plane encore, entêtante. Paysage désolé d’une région néo rurale touchée par la crise.

P. Lallement et J. Legrain inaugurant la future entreprise conventionnée à Premery le 15 octobre 2015 (F.P.)
P. Lallement et J. Legrain inaugurant la future entreprise conventionnée à Premery le 15 octobre 2015 (F.P.)

Moment d’émotion

Pascal Lallement, délégué national d’ATD Quart Monde, et Jacques Legrain, le président de la Communauté de communes, dévoilent la plaque inaugurale de la future entreprise. Bref moment d’émotion.
Jacques Legrain sait que ça n’est que le début. Sur la communauté de communes qui compte environ 5500 habitants, on a recensé 169 chômeurs de longue durée. « Et 44 se sont présentés spontanément pour participer au projet, précise-t-il, d’autres nous ont dit leur scepticisme, lassés de croire en de vaines promesses. »
Pour la future entreprise, poursuit -il, « on a déjà 200 000 euros de subventions pour les travaux de rénovation. On prévoit de produire des ordinateurs à 99 euros que l’on assemblerait ici à partir de vieux. On prévoit aussi un dépôt ventes d’objets de toutes sortes, le recyclage de matériels obsolètes, des tondeuses par exemple. Et puis on a une foule de projets dans les services à la personne. La région compte beaucoup de personnes âgées isolées, qui ont besoin de liens, de présence humaine, de culture… ».

Jacques Legrain et des chômeurs présentent les activités et le plan de la future entreprise conventionnée (F.P.)
Jacques Legrain et des chômeurs présentent les activités et le plan de la future entreprise conventionnée (F.P.)

« Plein de travaux prêts à être enclenchés »

A l’intérieur du bâtiment, un piquet de grève en chasuble Territoires zéro chômeur de longue durée montre sur une feuille les plans de la future entreprise. Là, un vestiaire, une partie pour les hommes, l’autre pour les femmes. Plus loin, un espace de travail.
« Au départ, j’étais mécanicien auto, explique-t-il. Je suis arrivé à Premery il y a 10 ans. J’ai enchainé les CDD, les contrats aidés, j’ai été cantonnier, j’ai fait de l’embellissement, de la peinture, du maraîchage… J’ai aussi fait une formation couverture et j’ai même eu un stage. Mais on embauche des jeunes, moi j’ai 48 ans.
Je suis au chômage depuis trois ans. Et pourtant, je suis sûr qu’il y a plein de travaux prêts à être enclenchés. Mais il faut la loi. ».

Emmanuel Poichoit, qui tient une libraire-épicerie à Premery, était venu soutenir la grève du chômage (VS)
Emmanuel Poichot, qui tient une libraire-épicerie à Premery, était venu soutenir la grève du chômage (VS)

« Les gens au RSA ne sortent plus »

A midi, retour au garage de la mairie. Emmanuel Poichot tient une librairie-papeterie-épicerie dans Premery. Il était là ce matin au départ du cortège. Il est rentré travailler au magasin, puis il est revenu pour accueillir le cortège. Par solidarité.
«Je viens comme citoyen. Nous, commerçants, on croise la détresse des gens. Il y a des personnes qui venaient dans mon magasin et que je ne vois plus. Elles sont tombées au RSA. Elles n’osent plus sortir. Elles ont honte de leur situation.
Ca nous révolte beaucoup avec mon épouse. On est convaincus qu’il y a du travail. Ca ne se résoudra pas au haut niveau de l’Etat mais au niveau des territoires. C’est pour ça qu’il faut faire pression, pour que les députés votent la loi. Pour qu’au moins on essaie.
Avec un RSA, on ne vit pas. Avec un salaire, on est déjà mieux. Il faut donner un travail aux gens, ça leur permet de consommer, de vivre, de retrouver leur dignité. »

Véronique Soulé