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Le mot « pauvrophobie » vu par Alain Rey

En 2016, ATD Quart Monde a décidé de créer un mot pour désigner la discrimination subie par les pauvres, « un nom pour dire non ». Typhaine Cornacchiari, alors responsable de la communication à ATD Quart Monde, avait sollicité Alain Rey pour recueillir son avis sur les différents choix retenus. Au lendemain de la mort de cet amoureux des mots, l’un des pères du dictionnaire Le Robert, elle nous livre le souvenir de cet échange.

Alain Rey, expert de la langue française et de la richesse de ses mots, représentait la référence incontournable en la matière, la personne idéale à consulter dans ce processus de création d’un mot.

Très impressionnée par ce grand nom, le cœur battant au moment de décrocher mon téléphone pour le contacter, j’avais répété des dizaines de fois cette phrase à lui dire, ce projet un peu fou dans lequel nous voulions l’embarquer.

Et il a décroché. J’ai un peu bégayé en lui racontant, en lui demandant quand serait le meilleur moment pour qu’on en parle plus précisément. « Là, maintenant », il avait du temps, il voulait bien m’aider à réfléchir.

« Pauvrophobie », « misérophobie », « paupérophobie », « pauvrisme », « classisme » et « ptochophobie », les Français avaient été inspirés par notre appel à idées pour trouver le mot qui permettrait enfin de dénoncer la double peine du manque d’argent et du manque de confiance.

Alain Rey avait pris le temps de m’expliquer pourquoi tel ou tel mot n’était pas idéal. Il avait écarté sans détour le mot « ptochophobie », qu’il jugeait « trop pédant pour être utilisé couramment, même si probablement le plus juste lexicalement ».

Et puis lui, le linguiste, avait sacré le mot qui me semblait le plus communicable : « pauvrophobie ».

Après l’avoir largement critiqué, « c’est un peu n’importe quoi, on juxtapose du latin et du grec », il en était arrivé à la conclusion qu’il s’agissait du mot le plus simple, le plus clair. « Or votre but, c’est bien que les gens utilisent ce mot, donc peu importe les principes linguistiques, il faut faire prévaloir l’usage, la simplicité. »

Ainsi est né le mot « pauvrophobie », issu d’une large consultation puis adoubé par Alain Rey. Après le départ de ce regretté maître des mots, nous ne pouvons que souhaiter que ce soit ce mot et ses maux qui viennent un jour à disparaître.

Photo : Alain Rey dans « Le mot LUCIFÉRIEN raconté par Alain Rey »