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Le droit pour tous à une fin de vie et des obsèques dignes

Des militants Quart Monde, des alliés, des professionnels… ont cherché ensemble des solutions pour que la mort dans le dénuement cesse d’être une injustice et qu’elle soit entourée de dignité.

Pourquoi, lorsque l’on est issu de la grande pauvreté, n’aurait-on pas droit à une fin de vie et à un enterrement dignes, comme les autres ? Face à cette injustice, des militants Quart Monde, ayant l’expérience de la précarité, des alliés du Mouvement, engagés à leurs côtés, des professionnels, des chercheurs, des élus… se sont mis ensemble pour réfléchir et ont trouvé des solutions : une mutuelle santé et une assurance obsèques abordables, une association  » Inhumer dignement nos morts  » pour que plus personne ne parte seul.

Souvent, les personnes préfèrent être soignées et finir leurs jours chez elles, entourées des leurs. Mais les hospitalisations à domicile, de plus en plus encouragées, coûtent cher. Il faut payer une série de produits habituellement fournis par l’hôpital. Lorsque la vie est déjà très difficile, que l’on survit avec des minima sociaux, c’est un problème qui s’ajoute à la douleur de voir souffrir un proche.

Au départ de ce travail en 2009, les personnes qui dépassaient un seuil de revenus n’avaient pas accès à une mutuelle, trop chère. Après une recherche où elles ont joué un rôle clé, ATD Quart Monde a mis au point un contrat adapté, proposé par plusieurs mutuelles dans le cadre de l’ACS (aide au paiement d’une complémentaire santé), mais qui ne couvre pas les frais de décès.

Lorsque survient la mort, ceux que l’on nomme  » les indigents  » sont enterrés par les communes dans des carrés réservés dans les cimetières. Ils n’ont pas les moyens de payer leurs obsèques, leurs familles – lorsqu’ils en ont – non plus. Souvent il sont enterrés ni lavés ni habillés. Avec les personnes concernées, ATD a créé une assurance obsèques qui respecte leur dignité.

Une bonne partie de ce travail a été menée au sein du Laboratoire des idées Santé d’ATD Quart Monde à Nancy, autour d’Huguette Boissonnat, responsable du pôle santé du Mouvement. Nous laissons ici la parole aux militants impliqués dans cette recherche.

Des membres de l’association « Inhumer dignement nos morts » accompagnent des obsèques. De g. à dr., Dominique, Marie, Micheline, Aquilina et Monique. @ATDQM

 

« Ne pas être enterré comme un chien »

Oriane et Olivier Chapelle vivent à Pont-sur-Madon, près de Nancy, avec Marie-France Zimmer, la mère d’Oriane, militante Quart Monde de longue date, hospitalisée lorsque nous sommes passés chez eux. Tous les trois sont des piliers du Laboratoire des idées Santé. Oriane raconte :

« Pour nous, l’important c’est d’être enterrés dignement, pas comme un chien, avoir un nom sur la tombe et pas un numéro, être lavés, peignés, habillés. On a déjà une vie qui n’est pas simple, on meurt plus tôt que les autres. Même quand on a de la famille, on peut être enterré comme un indigent, tout seul. Comme on n’a pas les moyens de payer l’enterrement, on n’y va pas. Si on y va, ils nous demandent de payer.
On a pris rendez-vous tous les trois aux Pompes funèbres pour se renseigner sur les tarifs pour enterrer ma mère. Elle disait qu’elle avait une maladie incurable et qu’elle voulait prendre un contrat obsèques pour pas qu’on ait, nous, trop à payer. On a des petits revenus. On est allé dans deux entreprises à Langres, deux à Mirecourt et trois à Nancy. Ça a duré plusieurs mois. Les tarifs allaient du simple au double…

On avait déjà travaillé sur la fin de vie, pour pouvoir mourir chez soi, que les Hospitalisations à domicile (HAD) coûtent moins cher. Ma mère est trois jours par semaine en HAD. Ça fait plus de frais à charge. En plus, on met les personnes à la maison sans dire comment faire. Pour les perfusions, il faut vérifier que ça coule, la nuit on est seul.

Tous les trois, on a pris la mutuelle NAO (Notre assurance obsèques). Comme j’ai 34 ans, je paie 1 euro par mois, et ça ne bougera pas car on garde le prix à l’adhésion. Olivier, qui a 53 ans, paie 4 euros par mois, comme ma mère qui en a 59. Pour la mutuelle, on a pris celle d’ATD, la SMI : 51 euros par mois pour ma mère et pour Olivier et moi, la formule couple à 95 euros par mois. On en est très content. »

Le carré des indigents du cimetière sud de Nancy le 17 septembre 2018.

« Pour que nos enfants ne galèrent pas « 

Micheline Adobati a été très active dans la recherche sur les obsèques. Elle est aujourd’hui vice-présidente de l’association  » Inhumer dignement nos morts  » créée en 2017 à Nancy.

« Nous à la CMU (Couverture maladie universelle), on n’a rien de prévu pour les obsèques. C’est en réfléchissant à ça et à comment on enterrait les indigents, que l’assurance NAO est née. Ce contrat obsèques, c’est surtout pour nos gamins, qu’ils ne galèrent pas à devoir payer notre enterrement. En étant passée par là, je sais qu’un enterrement peut t’endetter.

A une Université populaire Quart Monde, une militante a parlé de l’enterrement des indigents par les communes, sans personne, sans cérémonie. Olivier Jacquin, un conseiller général (aujourd’hui sénateur), a dit qu’on ne pouvait pas continuer comme ça. On est allé ensuite parler à la députée Chaynesse Khirouni, on a pris rendez-vous à la mairie de Nancy et au CCAS (Centre communal d’action sociale).
Après deux ans de réunions, on est arrivé à élaborer quelque chose avec la mairie. On a créé l’association « Inhumer dignement nos morts  » (IDM) pour accompagner les personnes décédées seules sans ressources. Le Secours catholique, les Restos du coeur, la Banque alimentaire, la Croix-Rouge fournissent des habits pour les morts.
Quand il y a une personne décédée à l’hôpital ou chez elle, sans ressources, la mairie nous appelle. On a une trentaine de membres. On l’accompagne, on est des tiers bienveillants. »

« Ne pas les laisser partir seuls « 

Aquilina Ferreira préside  » Inhumer dignement nos morts « . A la Maison Quart Monde de Nancy, elle a apporté un grand classeur avec des feuilles plastifiées : les fiches des défunts pour qui l’association a organisé des cérémonies, les poèmes ou les textes récités au moment de la mise en terre.

« Une fois qu’on est prévenu, on appelle les Pompes funèbres de la mairie. Elle donne 1 200 euros pour un enterrement digne. Avant, les personnes n’étaient ni lavées, ni habillées, sans cérémonie. Les familles, comme elles ne pouvaient pas payer, ne pouvaient même pas approcher.
Nous, on apporte des fleurs, on se recueille devant la tombe, on lit un texte. Pour le choisir, avant on s’est renseigné autant que possible sur le défunt, ce qu’il faisait, ce qu’il aimait. Le croque mort nous laisse même un moment. Pour les catholiques, un prêtre vient bénévolement.
Les emplacements sont au cimetière sud de Nancy. Mais le carré des indigents me gêne beaucoup. Il est sale, il n’y a pas d’allée, rien. On est pour demander s’il n’y a pas quelque chose à faire. Le carré devrait être nettoyé comme les autres.
Il n’y a pas les noms sur les pierres tombales. C’est quinze euros par lettre, m’a dit le marbrier. Nous nous sommes déjà occupés de douze personnes. Si on le fait pour toutes, ça pourrait être moins cher.
Avec l’association, je vois les enterrements autrement. On est tous pareils, on apporte tous un édifice au moment du départ. Dans ce moment de partage, on est tous liés. J’avais pas pensé qu’on pouvait faire ça : qu’ils ne partent pas tout seuls. »

Dossier réalisé par Véronique Soulé

Pour aller plus loin, découvrez l’ouvrage Mourir lorsqu’on est pauvre : « Où s’arrête la dignité » qui vient de paraître aux Éditions Quart Monde.