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Le Conseil économique et social croise les pouvoirs

Le 8 avril 2009, 120 personnes étaient rassemblées dans l’hémicycle du Conseil économique, social et environnemental (CESE) à Paris pour participer à un atelier-rencontre intitulé « Grande pauvreté, sortir de l’urgence » .

M. Jacques Dermagne, président du CESE, avait invité les membres du Conseil dans les termes suivants : « Le contexte actuel de crise économique et financière touche de plein fouet nos concitoyens les plus vulnérables. Il jette une lumière crue sur la persistance de la grande pauvreté dans notre pays.

Comme l’ont démontré à plusieurs reprises les travaux du Conseil économique, social et environnemental, avec l’avis Wresinski de 1987 puis à travers la contribution de Geneviève De Gaulle-Anthonioz à la préparation de la loi de lutte contre les exclusions de 1998, les mesures d’urgence, si utiles soient-elles, ne suffisent
pas à éradiquer la misère.

Pour réaliser cet objectif indispensable à la cohésion de notre société, un large échange de vues et de pratiques est plus que jamais nécessaire. C’est la raison pour laquelle, à l’occasion de la parution du livre [ Le croisement des pouvoirs , (Editions Quart Monde/Les Editions de l’Atelier), qui présente diverses expériences de co-formation croisant les savoirs des personnes les plus pauvres et les savoirs des professionnels dans divers secteurs de la vie économique et sociale, j’ai le plaisir de vous convier à l’atelier de réflexion :
« Grande pauvreté, sortir de l’urgence : Croiser les savoirs, les pratiques et les pouvoirs pour éradiquer la misère » . »

Voici le texte de la conclusion de cet atelier, prononcée par Pierre Saglio, président d’Atd Quart Monde France.

Mesdames et messieurs les conseillers,

Mesdames et messieurs,

Comme l’a rappelé Marie Aleth Grard dans son introduction, le Conseil Economique, Social et Environnemental est certainement, dans notre pays, l’assemblée qui a le plus contribué à l’élaboration des politiques pour venir à bout du fléau de la misère. C’est donc avec émotion que je viens maintenant conclure, en ce lieu, cet atelier de présentation du livre « le croisement des pouvoirs » car je suis convaincu que le chemin tracé par ce livre, les enseignements qu’il tire de ces 10 années de recherche et d’action fera franchir une nouvelle étape à la réflexion portée par cette assemblée et, par votre intermédiaire, à notre pays dans son entier.

« Le croisement des savoirs et des pratiques avec les plus exclus oblige toute démocratie à se rééquilibrer, à se refonder sur l’égale dignité de tout être humain », écrivent ses auteurs dans la conclusion. Voilà bien l’ambition que nous partageons, le combat que nous menons avec force aujourd’hui : obliger notre démocratie à se refonder sur l’égale dignité de tout être humain.

Je voudrais rappeler deux conditions que nous donne le croisement des savoirs et des pratiques pour réussir ce combat.

La première condition est que tous, et en particulier les personnes en situation de précarité, aient les moyens et les lieux d’une réflexion collective .

Les personnes en situation de précarité ont besoin du collectif pour faire un groupe de réflexion, élaborer leur apport, soutenir les énergies et les démarches (page 67).

Combien de fois, aujourd’hui, on voudrait enfermer ces personnes seulement dans un rôle de témoin individuel alors que toute l’expérience du croisement des savoirs et des pratiques nous a appris que les plus pauvres ne peuvent être réellement acteurs qu’avec d’autres de tous milieux, dans un groupe de référence qui leur donne à la fois identité et sécurité, dont l’objectif est clairement de détruire la misère, et où leur parole, attendue et confrontée à celle des autres, permet d’enrichir la réflexion de tous.

La deuxième condition est bien résumée par ce mot de croisement. Nous devons apprendre à confronter nos savoirs, nos modes d’action, en nous donnant des moyens rigoureux pour avancer ensemble, pour chercher ensemble, pour penser ensemble . Si nous empruntons ce chemin, l’expérience de ces 10 années évaluée dans ce livre nous montre qu’il en sort quelque chose de nouveau , un nouveau savoir, de nouvelles réponses, dont notre pays a besoin, dont notre université a besoin, dont nos pratiques professionnelles ont besoin, dont, encore plus, nos responsables politiques ont besoin. « Portons cette dynamique à un niveau politique », comme il a été dit pendant le débat, c’est l’enjeu d’aujourd’hui. Si nous ne faisons pas ce choix aujourd’hui, nous ne trouverons pas les moyens pour sortir de cette crise économique et financière sans abandonner personne, nous ne sortirons pas des seules réponses d’urgence et des distributions massives qui, de fait, maintiennent les pauvres hors droit commun, comme hors la loi.

Ce choix est exigeant comme nous le rappelle le livre. Il s’agit bien de se mettre ensemble pour chercher des solutions à des problèmes que chaque groupe pose à sa manière (page 119), de « Faire émerger la pensée, les aspirations, les stratégies que développent les plus pauvres comme source d’une nouvelle connaissance et d’un nouveau projet de civilisation » (Bruno Tardieu, page 147), avec la ferme intention que ce nouveau savoir « permette de changer notre rapport au monde et donc d’agir et pas seulement d’informer ». C’est pour cette raison que, là où beaucoup parlent de « participation » des plus pauvres, le croisement des pouvoirs nous parle de partenariat, avec une exigence forte car « vivre une co-formation, c’est prendre un risque pour chacun ».

Nos concitoyens sont en recherche forte d’éthique, de repères civiques et politiques dans la reconstruction de notre monde dévasté par ce que Geneviève de Gaulle qualifiait de « totalitarisme de l’argent ». Le croisement des savoirs et des pratiques est un de ces repères essentiels. Alors, oui, comme il a été dit dans ce débat, « nous souhaitons être contagieux ». Oui, nous appelons les organisations professionnelles, syndicales, associatives, les partis politiques, l’ensemble de nos concitoyens à s’approprier la charte du croisement des savoirs et des pratiques pour vivre et faire vivre cette dynamique.

Notre démocratie en a besoin.