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Laurent Godin, en toute confiance avec ATD Quart Monde

Depuis 6 ans, ce bénévole passe ses samedis assis sur une natte, à partager des moments de lecture avec des enfants. Il participe aussi à des Universités populaires Quart Monde. Des expériences qui l’enrichissent jusque dans sa vie professionnelle.

Deux tours coincées entre le périphérique et les puces de Saint Ouen, surmontées d’une publicité lumineuse pour une marque de voiture. À leurs pieds, entre le parking et un terrain de basket, une butte de terre enherbée, carré vert où les quelques chiens du voisinage viennent se défouler. Sauf le samedi… Le samedi après-midi, c’est jour de bibliothèque de rue. Les bénévoles d’ATD Quart Monde étendent une vaste bâche, la couvrent d’une natte accueillante où ils disposent quelques dizaines de livres jeunesse. Quelques minutes plus tard, une volée d’enfants jaillit de l’une des tours.

«Un tout petit bout de confiance»

Debout au bord de la natte, Laurent Godin les accueille d’un sourire, d’un petit mot. Il connaît leurs prénoms, s’inquiète du frère ou du cousin qui n’est pas venu. Un enfant s’approche, lui tend un livre. «Tu veux qu’on le lise ensemble ?», questionne doucement Laurent. Puis ils s’asseyent et, à tour de rôle, l’adulte et l’enfant lisent chacun une page. «Les bibliothèques de rue, explique Laurent, c’est ça. On donne un petit bout de confiance à des enfants qui en ont peu, et à partir de là ils construisent quelque chose».

D’une précédente bibliothèque de rue à Alfortville (Val-de-Marne), où il habite, Laurent se souvient de cet enfant de 5 ans qui ne savait pas dessiner une voiture, qui ne se sentait même pas capable de dessiner un rond pour figurer les roues. «Deux ans plus tard, il avait assez confiance en lui pour dessiner non seulement des voitures mais aussi plein d’autres choses, et pour vouloir apprendre à son frère… En voyant ça, je me dis qu’on n’est pas inutiles. Parfois, qu’une seule personne accorde sa confiance à un enfant, ça peut lui changer la vie !».

Laurent se souvient aussi de cet enfant rom de 8 ans qui mendiait avec sa mère non loin de la bibliothèque de rue. Il a fini par y venir, une fois, puis deux. Puis par devenir un habitué, et par amener ses frères et ses cousins. À travers lui, l’équipe de la bibliothèque a pu faire connaissance avec la maman, puis découvrir le bidonville où vivait la famille. Avec l’aide d’autres associations, les enfants ont pu être scolarisés. «C’est aussi ça, les bibliothèques : un moyen d’entrer en contact avec les familles, de nouer des liens avec des gens qui restent à l’écart», sourit Laurent.

«La marche du siècle»

Pour Laurent, ATD Quart Monde est une vieille histoire. Premier contact devant son petit écran, lors d’une célèbre émission télé, «La marche du Siècle», où il est séduit par la manière dont Geneviève de Gaulle Anthonioz, présidente du Mouvement de 1964 à 1998, s’effaçait devant les militants. «Cette valeur fondamentale, qui est de dire qu’on ne fait pas à la place des pauvres mais avec eux, qu’on écoute les gens, qu’on considère que chaque parole a de la valeur, c’est ce qui a fait que je ne me suis plus jamais éloigné d’ATD Quart Monde».

Quelques années plus tard, lors d’une mission professionnelle en province, loin de sa famille, il fréquente l’antenne locale d’ATD Quart Monde : «je trouvais ça plus intelligent que de passer mes soirées seul» se souvient-il. Mais rentré auprès des siens, la vie de famille avec deux jeunes enfants reprend le dessus et le tient éloigné du Mouvement. «Et puis, dix ans plus tard, quand mes enfants ont quitté la maison pour faire leurs études, immédiatement, j’ai repris contact !».

La pédagogie de l’écoute

Allié (1) d’ATD Quart Monde depuis 2008, Laurent partage son temps libre entre les Universités populaires Quart Monde et les bibliothèques de rue. Quand on lui demande quelle est la première chose qui l’a frappé en entrant dans le Mouvement, il est de nouveau question de confiance, «celle que les militants m’ont accordée d’emblée, alors qu’ils ne me connaissaient pas, en me livrant des histoires parfois dures, en allant puiser au plus profond d’eux-mêmes des expériences douloureuses pour construire la pensée du Mouvement à partir de ça».

Secrétaire de l’Université Populaire Quart Monde du Val-de-Marne, donc chargé de retranscrire les séances, il découvre une manière de rédiger des comptes rendus bien éloignée de la vie professionnelle, où la synthèse et la reformulation sont la règle. «J’ai appris à écouter jusqu’au bout, sans terminer mentalement la phrase de mon interlocuteur, en le laissant dérouler sa pensée même quand elle semble hésitante, puis à noter aussi fidèlement que possible, parce que dans le mot pour mot se cachent des choses qui seraient masquées par la reformulation».

Cette pédagogie de l’écoute de l’autre a contribué à changer son attitude vis à vis d’autrui, jusque dans sa vie professionnelle. Pour mener à bien ses missions de directeur de projets informatiques, Laurent Godin doit faire dialoguer des gens venus d’univers différents, comme des banquiers et des informaticiens. «La véritable écoute, cette faculté à attendre que son interlocuteur ait fini de s’exprimer est capitale pour lever les ambiguïtés entre les différentes tribus… exactement comme dans un groupe d’Université populaire Quart Monde». «Et puis, conclut-il, j’ai surtout appris la patience : celle qui est nécessaire pour une vraie écoute, et celle qu’il faut pour installer la confiance». Confiance, toujours…

Olivier Chartier

(1) Les alliés d’ATD Quart Monde s’efforcent d’insuffler autour d’eux la volonté d’agir contre l’exclusion sociale.