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La chronique de Simon #Épisode 8 : Une semaine

Simon est volontaire permanent chez ATD Quart Monde. Les volontaires « en découverte » ont deux ans pour connaître le mouvement de l’intérieur, avant de décider ou non de s’engager à plus long terme. À travers ses chroniques, Simon raconte ses expériences.

 

A ATD, on vit tous des semaines très différentes. Certains ont des petits patrons déguisés. D’autres non. Certains ont des bureaux. D’autres des rues sous les pieds. Certains ont des espoirs. D’autres des résignations. Certains sont en colocs. D’autres non. Moi je suis dans l’équipe d’ATD Val d’Oise, j’habite à Paris, et le reste c’est que des mots. Pour les mots, c’est Julie qui m’aide beaucoup. Elle lit et me dit les trucs qui sont bien dans ma tête mais bizarre dans celle des autres. En marchant dans l’eau grise de Lille, on s’est dit une fois une phrase qui est drôle : « Rien n’est grave, tout est important ». Depuis, c’est chaque jour un peu comme ça.

Le Mardi par exemple, j’arrive et je dis bonjour pour me chauffer la voix. Dans la maison-bureaux, on est trois ou même plus. On fait du café parce qu’il ne faut pas dormir. On répond au mail quand on y pense, mais, on oublie jamais de discuter. Comme on essaie de décider ensemble, on se raconte beaucoup. On écrit, souvent, pour dire ce qu’on a déjà fait et ce qu’il nous reste à faire. Parfois le téléphone sonne et c’est pour nous donner un coup de main. Pour la rencontre, on mange ensemble et la fourchette porte conseil. Parfois aussi, on nous appelle pour nous vendre un truc. On n’a pas un rond alors on raccroche.

Le mercredi, c’est journée Montmagny. Avec Agathe et Michel on va rencontrer des « gens du voyage ». Je déteste ce nom parce que les pincettes, moi, je trouve ça un peu condescendant. Pour décider ce qu’on fait le mercredi, on se réunit le lundi. Il y a Agathe, Michel, Brigitte et moi. On parle beaucoup pour se demander si on ne fait pas n’importe quoi. On vient avec des livres, des jeux et des sourires. Les enfants sont contents et on parle avec les parents de dignité sans dire le mot. Ils nous apprennent pleins de trucs et ça rend un peu plus humble. Plus on se connaît, mieux on se comprend. Cette fois-ci, j’ai fait du découpage et du collage. J’avais des lettres, des mots, des couleurs, tout dans un classeur. Pleins de feuilles et chacun peut choisir. On cherchait avec un grand les lettres du prénom d’un petit. Je lui montrais comme son cousin découpait bien et ils étaient fiers l’un et l’autre, d’eux-mêmes et d’être même deux. Après, le grand donnait au petit, le petit collait, et les deux ensembles étaient vivant. Pour les autres qui attendaient, j’avais une boite avec des mots découpés. J’en ai offert quelques uns. Ils piochaient, les gosses. J’aime beaucoup, à l’intérieur. Par exemple quand ils prenaient le mot « espoir ». Ils tenaient le petit bout de papier, qu’ils ne savaient pas lire, et ils étaient contents parce que c’était joli aussi. J’espère que l’ « espoir » sera quelque part, sur la table ou sur les banquettes, la semaine prochaine. Sinon ce n’est pas grave, on en piochera d’autres. De toute façon c’est moi qui imprime des mots, alors je choisis. C’est ça qu’est dommage. Volontaire permanent, on choisi un peu les mots pour d’autres.

Après mercredi, c’est jeudi. Ce jeudi-là, c’était la Journée internationale des droits de la Femme. (Pour l’homme c’est les 364 qui restent). Deux volontaires permanentes avaient organisé une journée pour y réfléchir. J’y suis allé parce que moi, j’aime bien l’être humain en général et que apparemment, les femmes sont dedans. On a réfléchi en groupe non mixte. Ça veut dire garçons d’un côté et filles de l’autre, comme aux toilettes. C’est mieux parce que si on est mélangé de suite on n’ose pas vraiment. Comme aux toilettes. Après s’être bien lavé les mains, on s’est retrouvé tous ensemble. C’était vraiment passionnant et ça faisait du bien d’être tous d’accord pour dire que, quand même, les toilettes étaient moins bien pratiques d’un côté que de l’autre.

Le vendredi, c’était le premier jour de la « session de promotion familiale ». Elle a duré jusqu’à dimanche. Pleins de gens d’ATD se retrouvaient ensemble pour réfléchir et parler de ce qu’ils vivaient. De comment on pouvait être avec les familles qui galéraient. De comment on accédait aux droits. De comment c’était la vie quand c’était la merde pour eux et pour nous moins. C’était une grande soupe avec des mots, des cafés, des repas et des rires. Avec par exemple de la peinture, des trajets, des regards, un spectacle… Pour l’échange, y’avait des hauts, des micros, des bas et des débats. Des gens qui réagissaient, et d’autres pas. Parfois on se vexait ou on n’était vraiment pas d’accord. Y’avait des regards en coin et des coins d’ombre encore. On a partagé nos doutes pour que tout le monde puisse en avoir un peu. On a beaucoup écouté des bouches parler de la vie, et du reste. J’étais content parce que je voyais quelques humains être humains.

Aujourd’hui je me repose un peu, pour essayer. Devant moi, il y a la fatigue des derniers jours et une tasse de café. Y’a beaucoup de café dans mes chroniques mais faut pas s’en faire. C’est juste pour que vous restiez éveillés. Il y a un gros feutre, un livre et des mots cachés. J’écris ma chronique sur la table en bois. Le bruit du clavier me rassure. Je mets des mots sur des souvenirs, et je ne sais pas jusqu’où ça les change. Est-ce que j’embellis ? Est-ce que j’en rajoute ? Pour me rassurer, j’ai une astuce…

Rien n’est grave.

Tout est important.

 

Simon Bosio

 

Pour plus de chroniques de Simon, retrouvez les précédents épisodes par ici.

Épisode 1 « Avec Julie, Roubaix et le rouge mouillé »

Épisode 2 « Les meilleurs moments sont toujours les plus petits »

Épisode 3 « Les perdus perdurent » dans une Bibliothèque de Rue

Épisode 4 « Nuit Pâle »

Épisode 5 « Mauvaises Herbes »

Épisode 6 « Dans l’étang »

Épisode 7 « Lumière »