Entrez votre recherche ci-dessous :

La chronique de Simon #Épisode 7 : Lumière

Simon est volontaire permanent chez ATD Quart Monde. Les volontaires « en découverte » ont deux ans pour connaître le mouvement de l’intérieur, avant de décider ou non de s’engager à plus long terme. À travers ses chroniques, Simon raconte ses expériences.

8h42. Je sors du train. Argenteuil. Des voitures et des bus. Des flaques, des virages et des gosses. Des bosses. Des arbres. La porte qu’il faut pousser. La chaleur qui chatouille. Le manteau, le sac, le bureau. Les bonjours et les paroles qui s’entremêlent. Il y a un jeune – plus que moi – qui est en stage avec nous en ce moment. Il est en seconde. Il doit nous voir comme des abeilles bizarres. Nous, c’est nous trois. On est en rien du tout. On est volontaire comme je disais dans la chronique d’avant. Nous, c’est Brigitte, Michel et moi. Michel vient en vélo. Et Brigitte habite déjà là. Dans la maison où sont aussi nos bureaux. Les bureaux d’ATD Quart Monde Val d’Oise. On travaille là quand on n’est pas en vadrouille. On fait du café et des blagues et après on s’y remet.

Aujourd’hui, j’accompagne l’intervention de deux militants d’ATD Quart Monde dans un lycée. Les militants, à ATD Quart Monde, c’est une catégorie de personnes qui sont des combattants de la misère de l’intérieur. Alors que moi, par exemple, je reste à distance. J’aurais pas été contre qu’on les appelle autrement, ou seulement par leur nom, mais c’était déjà comme ça avant que j’arrive alors bon. Leur prénom, à eux, c’est André et Maurice. L’intervention, c’était devant une classe de première. C’est des jeunes qui vont faire une maraude. Pour un projet scolaire. Donner du café chaud à des gens qui traversent une période froide. On avait préparé avec André et Maurice et on s’était demandé ce qu’on allait pouvoir leur raconter. André et Maurice, ils ont déjà connu ces galères et on s’est dit que les élèves, ça serait bien qu’ils puissent échanger avec eux. Parce qu’en maraude, parfois, on se sent comme un pompier, alors qu’il y a pas le feu. Il y a pire. Il y a inhumanité. André et Maurice ils ont surtout voulu dire aux jeunots que merde, il fallait écouter les gens et que c’est pas en donnant du café chaud que la froideur de la période se dissipe. C’est en respectant. C’est en écoutant. C’est en t’intéressant à qui sont les gens. Les élèves ont pu poser leurs questions. Ca leur a fait drôle d’apprendre qu’on pouvait vivre à la rue en ayant un travail. Ca leur a fait drôle d’apprendre qu’on pouvait se sentir humilié par le comportement de ceux qui veulent t’aider. Ca leur a fait drôle d’apprendre qu’on pouvait ne même pas avoir la force d’accéder à ses propres droits à cause de l’isolement. Ca leur a fait drôle. Il y a un élève qui ne comprenait pas pourquoi personne ne faisait des interventions comme ça, d’habitude. Il a dit « nous on n’aurait pas su tout ça si vous étiez pas venu… Pourquoi ? ».

Il était triste et un peu indigné. Putain. J’adore ce regard. Triste et un peu indigné. Et en même temps il y a dedans comme une lumière qui est en train d’exister. Quelque chose qui s’enclenche. Clic. Une couche de la complexité du monde dans laquelle on pénètre. Plus de questions que de réponses. Clic. Des gens écrasés. Des gens dehors. Des gens dedans. Alors qu’au fond, les gens dedans, les gens dehors, les gens écrasés, c’étaient les mêmes. Alors oui, tiens, pourquoi ? C’est ce que disaient ses yeux. Et c’est pour ça la tristesse. L’indignation. L’incompréhension. La lumière. Il était là. Nous aussi. C’était beau.

Restait plus que la rencontre.

Simon Bosio

Pour plus de chroniques de Simon, retrouvez les précédents épisodes par ici.

Épisode 1 « Avec Julie, Roubaix et le rouge mouillé »

Épisode 2 « Les meilleurs moments sont toujours les plus petits »

Épisode 3 « Les perdus perdurent » dans une Bibliothèque de Rue

Épisode 4 « Nuit Pâle »

Épisode 5 « Mauvaises Herbes »

Épisode 6 « Dans l’étang »