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La chronique de Simon #Épisode 6 : Dans l’étang

Simon est volontaire permanent chez ATD Quart Monde. Les volontaires « en découverte » ont deux ans pour connaître le mouvement de l’intérieur, avant de décider ou non de s’engager à plus long terme. À travers ses chroniques, Simon raconte ses expériences.

Il est minuit 10. Le métro ralentit. Il s’arrête. Des personnes montent dans la rame. D’autres non. Le vent a réussi à s’engouffrer dans les couloirs. Il fait froid. Pour une fois, on est heureux de se serrer les uns contre les autres. On sent les vies qui commencent à songer au repos. Les publicités défilent. Elles mentent avec le sourire. Personne n’y croit. Mais tout le monde plonge.

Un homme entre dans la rame. Il crie. Seul. Il fait partie des gens qu’on prend pour des fous. Sur les écrans, c’est différent. Un homme parle avec d’autres. On lui tend un micro. Il dit qu’il nous faut des jeunes qui veulent devenir milliardaire. Il fait partie des fous qu’on prend pour des gens. Plus tard, il devient président. Personne n’y croit. Mais tout le monde plonge. J’ai enlevé mes écouteurs pour écouter le gars du métro. Et j’ai éteint l’écran.

Le problème avec les gens, c’est qu’ils finissent toujours par parler d’eux. Je veux dire, ceux qui n’avaient pas encore commencé. Moi, je suis en découverte du volontariat permanent d’Agir Tous pour la Dignité Quart Monde. Souvent, quand je veux expliquer ce que c’est, je commence aujourd’hui et ça finit demain. Alors que milliardaire, comme métier, ça s’explique vite. En réalité, la découverte du volontariat permanent, ça veut pas dire grand chose. On peut tous prendre une tranche différente du dictionnaire pour l’expliquer. Mot par mot ça donne : 1. « Découverte ». On est plus facilement à découvert, quand on est en découverte. Découverte, c’est pour rassurer les peureux et calmer les enthousiastes. Moi je suis les deux à la fois, alors ça s’annule. 2. « Volontariat ». A mon avis, c’est pour dire qu’on a le choix. C’est gentil. Merci. 3. « Permanent ». Je voulais pas savoir ce que ça voulait dire parce que je pensais qu’on vivait mieux en âme inconsciente. J’ai fini par ouvrir une tranche de dico, pour voir. Celle de la lettre P. Et il y avait écrit, noir sur gris, « qui dure sans intermittence ni changement, qui ne cesse pas ». Un peu comme les pubs, finalement.

Le volontariat permanent, c’est un truc dont on aime bien parler parce qu’on a l’impression qu’il nous rend unique. Alors qu’on l’était déjà avant. C’est un statut, mais on sait plus trop bien. Les statuts, ça bouche la vue. Le volontariat permanent c’est drôle parce qu’on ne sait pas toujours ce qu’on va y faire. C’est comme jouer au loto. Mais sans la cagnotte. Le volontariat permanent, c’est d’abord un engagement. Mais le langage ment. Parce que c’est facile de s’engager. Comme sur l’autoroute. C’est toujours aux autres de freiner. Le volontariat permanent, c’est pleins de lignes. D’écriture. Pas de conduite. Le volontariat permanent, c’est vouloir tuer la misère, avec ceux qui la vivent. C’est très gentil. Dans le volontariat permanent, d’abord, on reste là. C’est pour savoir qu’en France aussi on est des cons parce qu’on a laissé la misère s’installer à la place des êtres humains. Donc, le volontariat permanent, c’est un temps à poiroter avant de fruit-de-la-passionner. Le volontariat permanent c’est plein de nouveaux copains qui se ressemblent pas. C’est mieux comme ça. On confond pas. Le volontariat permanent, il y a des gens qui en tombent amoureux. Ça n’exclut pas les ruptures. Les crises. Les craintes. La bise. L’étreinte. Le volontariat permanent c’est construire du nous. Ça prend un peu de temps. Il faut d’abord faire la place. Enlever un peu de je. Il est là le plongeon. C’est juste que certains touchent d’abord l’eau avec la pointe de l’orteil. Ou prennent un autre bassin. Celui plus tiède. Ou même le grand tout froid. Chaud ou froid, ça change pas grand chose. A la fin, on se mouille.

On finit tout entier entouré de particules nouvelles. De gouttes qui se tiennent entre elles. Cette sensation. Qui dérange presque. Ce passage. Sortir d’un univers pour pénétrer dans un autre. L’air. L’eau. Un nouveau monde dans lequel les gestes sont plus lents. Dans lequel on ne peut plus tomber. Quelque chose qui vous porte. On se laisse trimballer. Par le mouvement. Des vagues. Des sons. Qui s’écrasent. Qui se distordent. Qui s’embrassent. Qui se mordent. Si l’on ouvre les yeux, on voit les lumières qui dansent dans le flou du monde. Mal à la rétine. Mal à la routine. Finalement c’est comme tout.

 

Personne n’y croit

Mais tout le monde plonge

Simon Bosio

 

Pour plus de chroniques de Simon, retrouvez les précédents épisodes par ici.

Épisode 1 « Avec Julie, Roubaix et le rouge mouillé »

Épisode 2 « Les meilleurs moments sont toujours les plus petits »

Épisode 3 « Les perdus perdurent »

Épisode 4 « Nuit Pâle »

Épisode 5 « Mauvaises Herbes »

Épisode 7 « Lumière »