Entrez votre recherche ci-dessous :

La chronique de Simon #Épisode 5 : Mauvaises Herbes

Simon est volontaire permanent chez ATD Quart Monde. Les volontaires « en découverte » ont deux ans pour connaître le mouvement de l’intérieur, avant de décider ou non de s’engager à plus long terme.
À travers ses chroniques, Simon raconte ses expériences.

Avec d’autres volontaires en découverte du volontariat permanent, on a passé une semaine à La Bise. C’est une grande maison qui est dans le Jura, avec des arbres autour et des sourires dedans. C’est pour que les gens que d’autres essaient de priver de pleins de trucs puissent passer des vacances en famille. Loin du froid des yeux. Et surtout des cauchemars qui ne se poursuivent malgré l’ouverture des paupières. Nous, on était dans la maison comme dans la vie. Pour apprendre. On faisait aussi la vaisselle et le ménage. On apprend mieux quand c’est propre. A la fin, on avait l’impression de se connaître. Parce qu’on se voyait le matin, le soir, et même entre les deux.

Le ciel était gris. Dans l’air il y avait des morceaux de gouttes. Il y avait aussi des cernes sous nos regards et de la fatigue dedans. C’était dimanche. Les familles venaient de passer une semaine ici. Les valises se nouaient au rythme du cri des crapauds qui ornaient la rivière. Dans le poêle, le feu crépitait. L’heure du premier départ a fini par sonner. Alors. On a fait semblant de ne pas s’y attendre.

Tous. Ou presque. Nous étions debout face à la voiture dans laquelle les enfants montaient un à un. Les rires étaient forcés. Les embrassades étaient gauches. Les oiseaux chantaient faux. La vie partait sans crier gare. C’était moche. Moche. Moche. Parce que les yeux du gosse étaient plein de larmes et mon pull, ensuite, aussi. Mon tee-shirt s’est trempé pour faire pareil. Et mon cœur, d’ailleurs. Le gosse devait partir et moi aussi mais pas au même endroit. Je sais comment c’est. Mais je sais pas commencer. Il était dans mes bras et me regardait avec une noirceur qui n’existe pas dans les mots que je connais. Pardon. C’était le monde entier qu’il y avait dedans et j’ai pas assez de caractère pour l’exprimer. Je laisse passer. Je lui ai promis qu’on se reverrait. Qu’on s’écrirait. Il a dit oui pour pas dire non. Pratique. Mes mots flottaient dans le silence des autres. Lui, moi et le monde. On savait. C’était la fin. Ça faisait 10 ans qu’il existait, ce con. Qu’il croisait des rires et des insultes, des pleurs et des murmures.

29 Octobre. Toujours. Ce début d’après-midi. Encore. Ses bras ne répondaient plus à mes tentatives d’accolades et j’avais plus trop d’inspiration pour lui souffler autre chose. Je voulais enfouir mon visage dans le creux de son cou pour éviter son regard qui allait me faire chialer. Mais il était trop petit. Ce con – j’insulte pour aimer plus discrètement – . Je me suis accroupi. J’avais sur les épaules un poids moins léger que l’univers. C’était comme mûrir d’un seul coup. Et puis. Il a fallu voir la plaque d’immatriculation jouer à devenir illisible. Les mains de tous qui s’agitent en espérant apparaître dans les vitres. Le vrombissement qui se fond dans le jam des piafs malades. Et nos yeux se demander ce qu’on allait faire de nos larmes.

Une sœur que j’aime a loupé les au-revoir. Je me suis senti elle et j’ai eu la haine. Contre nous. Contre tous. Contre moi-même. D’avoir oublié qu’on était plein à être moi. Je me suis noyé dans toutes ces choses que j’arrivais plus à saisir. J’ai eu envie en même temps de manger et de vomir. Et j’peux comprendre que vous compreniez pas mes délires. Mon corps et mon cœur s’assumaient. Mon ventre et mes jambes s’amusaient. Je suis tombé dans une chaise. J’ai gardé les larmes au chaud. Parce que le lendemain aussi, il ferait presque beau.

On est des mauvaises herbes

On revient toujours au printemps

L’automne aussi de temps en temps

Jamais assez d’arrachements

 

Simon Bosio

 

Pour plus de chroniques de Simon, retrouvez les précédents épisodes par ici.

Épisode 1 « Avec Julie, Roubaix et le rouge mouillé » dans un Festival des Savoirs et des Arts à Roubaix

Épisode 2 « Les meilleurs moments sont toujours les plus petits » au sein du siège d’ATD Quart Monde France

Épisode 3 « Les perdus perdurent » dans une Bibliothèque de Rue

Épisode 4 « Nuit Pâle » dans un Festival des Savoirs et des Arts à Noisy-le-Grand

Épisode 6 « Dans l’étang » dans un métro

Épisode 7 « Lumière » dans un lycée

Vous pouvez aussi découvrir La Bise en vidéo :