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Retour sur la bataille pour la couverture maladie universelle (CMU)

Retour sur le combat mené par ATD Quart Monde et son réseau santé pour obtenir l’accès de tous aux soins.

Extrait de  » Quand un peuple parle » de Bruno Tardieu publié par les Éditions Quart Monde

« Au lendemain du vote de la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions de juillet 1998, le mouvement ATD Quart Monde a décidé de concentrer ses efforts pour d’abord obtenir, dans le domaine du droit aux soins de santé, la généralisation de la sécurité sociale aux plus démunis. De nombreuses voix se sont élevées contre cette proposition, avec deux sortes de critiques.

Un droit critiqué

La première rappelait que la sécurité sociale donne droit aux soins à ceux qui ont cotisé. Comment imaginer que des gens, au parcours de travail chaotique, n’ayant pu cotiser qu’épisodiquement, puissent avoir les mêmes droits que les autres ? Il fallut toute la force de pensée juridique de Paul Bouchet, tout nouveau président du Mouvement qui avait succédé à Geneviève de Gaulle-Anthonioz, pour convaincre que la France devait accepter ce changement de paradigme et ainsi gagner la loi sur la couverture maladie universelle (CMU) du 27 juillet 1999. Pour Paul Bouchet, qui avait été résistant, avocat, conseiller d’État et président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, il fallait traduire les principes de cette loi d’orientation dans des droits concrets. Il expliquait alors sans relâche que ce qui fonde historiquement la légitimité du droit, c’est précisément son universalité : un droit qui n’est pas d’accès universel demeure un privilège et se révèle dès lors fragile. Mais pour qu’il soit effectif, ses modalités d’application doivent varier selon la diversité des situations. Il le savait bien, lui qui, au sortir de la guerre, avait été à l’origine de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) et de l’accès de ceux-ci à la Sécurité sociale, bien qu’ils n’aient pas cotisé préalablement. Aussi n’était-il pas troublé par les objections relatives au financement de la CMU. L’avenir lui donna raison : la loi du 27 juillet 1999 instaura un Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie, alimenté par les organismes d’assurance complémentaire et au départ par une dotation de l’État, qui fut remplacée en 2008 par une taxe sur les tabacs et les alcools. Ce fonds, qui existe toujours, permet aux plus démunis un même accès aux soins grâce à la sécurité sociale et à une assurance complémentaire (CMU-C).

Cette première critique, de type institutionnel et juridique, était doublée d’une autre critique, de type humanitaire. Médecins sans frontières et Médecins du monde en particulier furent au départ opposés à cette idée de CMU. Lors d’un colloque au ministère du Développement durable sur les déterminants de santé, le 14 septembre 2011, Jean-François Chadelat, alors directeur du Fonds CMU, fit état d’une lettre de Médecins du Monde reçue l’année précédente, disant qu’avec le recul, ceux-ci voyaient bien qu’ils avaient eu tort à l’époque de critiquer l’instauration de la CMU qu’ils jugeaient alors trop complexe. Leur logique d’alors, relayée par les médias, était simple : « Nous soignons les gens dans nos dispensaires, nous le faisons très bien, pourquoi s’encombrer d’administratif ? » À ATD Quart Monde, nous leur répondions que, certes, leur travail était de qualité, mais que cela rendait les gens dépendants de leur existence associative, du changement d’avis éventuel de leurs donateurs. D’autre part, pour les gens en situation de pauvreté, pouvoir aller chez le médecin ou à l’hôpital comme tout le monde est à l’évidence une garantie de qualité supérieure. C’est aussi pour eux l’expérience sociale libératrice majeure de ne plus être traités à part. On peut ajouter à cela que si l’hôpital ne soignait plus que les personnes les mieux protégées, il finirait par ne plus connaître les problématiques de santé les plus graves, relatives aux liens entre rapport au corps, rapport aux autres et rapport aux soignants mises en évidence par les personnes les plus défavorisées.

L’accès aux soins

Paul Bouchet, pour convaincre, pouvait aussi s’appuyer sur une expérimentation conduite par une équipe de médecins d’ATD Quart Monde avec le département de Meurthe-et-Moselle (54). Cette expérimentation, qui s’était déroulée de 1977 à 1982, avait débuté dans le cadre d’un cabinet médical implanté dans un quartier défavorisé et s’était poursuivie par la création d’un comité local de promotion de la santé. Elle avait mis en lumière les défis que représentent le rapport à la santé et les liens avec les soignants pour ceux qui vivent des exclusions multiples. L’équipe avait donc mobilisé les institutions de santé publique pour construire un accès universel aux soins par une « Carte santé 54 », créée en 1988, en s’appuyant sur le constat que la santé est éminemment dépendante de la régularité et de la qualité des relations de soin, et que celles-ci s’améliorent quand les gens sont certains d’avoir le droit d’être soignés. Grâce à cette garantie, au lieu d’attendre la crise aiguë, ils se soignent mieux, de manière plus préventive, leur état de santé progresse, et le coût global pour eux-mêmes et pour la communauté diminue. Ce fut la preuve, par l’action et la pratique, de la pertinence pour tous de rendre le droit au soin universel.

Véronique Davienne, déléguée nationale adjointe avec moi pendant six ans, m’a souvent raconté cette bataille pour la CMU qu’elle a vécue dans la fin des années 1990. Son émotion est intacte quand elle évoque des militants Quart Monde qui, quelques mois après les décrets d’application, osaient pour la première fois intervenir en réunion, parce qu’ils avaient pu se soigner les dents grâce à la CMU-C : ils osaient maintenant ouvrir la bouche, sourire, parler. Marie-France Zimmer, militante Quart Monde de Lorraine, membre de notre équipe nationale, très active dans le projet pilote « Carte santé 54 » et très engagée dans la bataille pour la CMU, ne manque pour rien au monde les rencontres du réseau santé du Mouvement, où militants, soignants et chercheurs continuent de défendre et d’améliorer le système de santé et l’effectivité du droit aux soins des plus démunis. Pour elle, comme pour Paul Bouchet, la certitude d’avoir le même droit que les autres n’a pas de prix. Tant que le droit n’est pas là, effectif, vérifiable, on reste dans la dépendance du bon vouloir des autres, avec le sentiment d’être traité différemment et finalement dans un mépris de soi qui empêche de prendre soin de soi.

Mais, comme l’explique Paul Bouchet, l’universalité de l’accès au droit n’est pas l’uniformité : il doit s’accompagner d’une attention particulière aux obstacles que rencontrent les plus éloignés du droit commun. Ainsi, la loi instaurant la CMU comprenait également l’instauration de permanences d’accès aux soins de santé (Pass) dans les institutions de santé, souvent au sein même des hôpitaux, afin de résoudre les difficultés administratives des ouvertures de droits, sans empêcher la prise en charge médicale immédiate. »