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Jurisprudence européenne du 8 avril 2004 : Affaire HAASE c/ Allemagne

Dans la chronique n°16, nous avons présenté la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), qui s’impose aux juges français. Les décisions qui découlent de ce texte sont publiés sous forme «d’arrêts», qui forment une jurisprudence utilisable par les avocats dans tous les pays européens.

Les faits :

Mme Haase a douze enfants. A la suite de son divorce , elle a obtenu la garde de ses trois cadets. Puis elle a épousé M. Haase avec lequel elle a eu cinq enfants. En 2001, M. et Mme HAASE ont sollicité une mesure éducative et ont accepté qu’un bilan psychologique soit fait. L’expert a estimé dans son rapport qu’il existait un risque pour le développement normal des enfants, que leurs parents se montraient souvent déraisonnablement durs avec eux et les battaient et qu’il fallait mettre fin à tout contact entre eux. Le même jour, sans avoir entendu les parents ou les enfants, le tribunal de district de Münster a retiré à M. et Mme HAASE l’autorité parentale sur les sept enfants résidant avec eux.
Le lendemain, les enfants sont retirés de l’école, du jardin d’enfants ou de la maison, selon le cas, et sont placés dans trois foyers d’accueil différents sans en informer les parents. En 2002, sans avoir tenu d’audience, la cour d’appel de Hamm a débouté les parents de leur appel. La Cour constitutionnelle fédérale n’a pas suivi les tribunaux dans leurs raisonnements à l’exception de celui interdisant les contacts entre les parents et les enfants.
L’affaire fut renvoyée devant le tribunal de district qui retira l’autorité parentale sur les sept enfants et interdit tout droit de visite. Il interdit aussi à Mme Haase d’avoir des contacts avec trois de ses quatre aînés avant fin 2004 et avec son fi ls aîné avant la majorité de celui-ci. Les parents ont alors saisi la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement des articles 8 et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ils ont dénoncé le retrait de l’autorité parentale et le placement de leurs enfants, ainsi que la manière dont la décision concernant le placement de leurs enfants avait été prise et mise en œuvre.

Décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (article 8 – Droit au respect de la vie privée et familiale) :

La CEDH rappelle que la Cour constitutionnelle fédérale a estimé que le retrait provisoire de l’autorité parentale n’était pas inspiré par des motifs pertinents et suffisants et que les parents n’avaient pas été suffisamment entendus.
La CEDH relève aussi que pour que les autorités publiques puissent recourir à des mesures d’urgence à propos de questions aussi délicates que des ordonnances de placement, la réalité d’un danger imminent doit être établie. En revanche, s’il est encore possible d’entendre et de discuter avec les parents de la nécessité de la mesure, aucune action d’urgence ne s’impose. Il n’y avait donc aucune urgence justifiant l’ordonnance de référé du tribunal de district.
En outre, le retrait soudain de six enfants de leurs écoles, jardins d’enfants ou du domicile,et leur placement dans des foyers d’accueil différents constituaient des mesures qui allaient au-delà de ce qui était nécessaire.
La CEDH estime que la Cour constitutionnelle fédérale n’a pas à se substituer aux autorités allemandes ni à se livrer à des spéculations quant aux mesures de protection de l’enfance qui étaient les plus appropriées.
Lorsqu’on envisage une mesure aussi radicale pour la mère (se voir retirer sa nouveau-née immédiatement après sa naissance) il incombe aux autorités internes compétentes de rechercher si une ingérence moindre dans la vie familialen’est pas possible, à un moment aussi crucial de la vie des parents et de l’enfant. L’expérience montre que lorsque des enfants demeurent pendant une longue période sous la protection des services de l’enfance, un processus est enclenché qui les conduit à une séparation irréversible d’avec leur famille. Lorsqu’un laps de temps considérable s’écoule après le premier placement des enfants, l’intérêt de ceux-ci à ne pas voir leur situation familiale subir de nouveaux changements peut l’emporter sur l’intérêt des parents à voir leur famille réunie. Les possibilités de réunion diminuent progressivement et se trouvent finalement anéanties si les parents biologiques et les enfants ne sont pas du tout autorisés à se rencontrer.
Qui plus est, la mesure radicale qui a consisté à retirer à sa mère la dernière née peu après sa naissance ne peut, selon la CEDH, que conduire à ce que les parents et les frères et sœurs de la petite deviennent pour elle des étrangers, ce qui met en péril les relations familiales. En raison de leur impact immédiat et de leurs conséquences, les mesures prises sont donc difficiles à redresser.
La CEDH conclut que le manquement injustifié à permettre aux parents requérants de prendre part au processus décisionnel, les méthodes employées pour mettre cette décision en œuvre (en particulier la mesure radicale consistant à retirer à Mme Haase sa fille nouveau-née peu après la naissance), le caractère irréversible de ces mesures ne s’appuyaient pas sur des motifs pertinents et suffisants. Ils ne peuvent être considérés comme ayant été « nécessaires » dans une société démocratique. Il y a donc eu violation de l’article 8