Entrez votre recherche ci-dessous :

Juan Carlos Gomez Campusano, sculpteur engagé

Rencontre avec Henry Gomez, volontaire permanent à ATD Quart Monde pour qui la sculpture est un support à la rencontre.

Un lundi matin au Centre de promotion familiale d’ATD Quart Monde à Noisy-le-Grand : les salariés et compagnons de Travailler et Apprendre Ensemble (TAE), l’entreprise solidaire du Mouvement qui emploie des travailleurs ayant l’expérience de la pauvreté aux côtés d’autres diplômés (les compagnons), sont réunis autour de morceaux de bois dans le cadre d’un atelier hebdomadaire qui n’a rien de banal. Son objectif : aider les salariés à reprendre confiance en eux grâce à la médiation de la matière.

« La participation des compagnons est importante pour stimuler les salariés : ceux-ci s’imaginent souvent qu’ils ne savent rien faire, précise Juan Carlos Gomez Campusano, sculpteur et animateur. L’atelier est sans modèle car il ne s’agit pas de reproduire mais de sentir. »

Engagé dans le Mouvement depuis 2009, Juan Carlos se fait appeler Henry, son deuxième prénom. « En République dominicaine, 90 % de la population a deux prénoms, l’un officiel, l’autre non, explique-t-il. Henry est le prénom que ma mère m’a donné. C’est aussi celui que je préfère. »

Passion

Entre ses mains expertes, la matière se transforme en de longues sculptures en bois d’acacia, de chêne ou d’olivier. Figuratives, elles représentent pour la plupart des femmes aux courbes étroites et lisses. « Sans doute parce que je suis un grand féministe, explique en souriant Henry. Je suis contre toutes les discriminations et pour l’égalité des chances pour tous. »

Son engagement à ATD Quart Monde ne doit rien au hasard. « En 2005, j’animais déjà des ateliers de sculpture dans une association de mon pays. J’ai rencontré là-bas des volontaires d’ATD qui m’ont raconté l’histoire du père Joseph Wresinski : j’ai été touché. » C’est aussi parmi les volontaires qu’il rencontre celle qui deviendra sa femme à son arrivée en France en 2008.

Henry a toujours eu la passion du bois. Son père, ouvrier, le sculptait pour fabriquer, entre autres, des instruments de musique traditionnels. Le voir travailler lui a donné le désir de l’imiter et à son tour aujourd’hui, il souhaite transmettre son savoir-faire à travers ses ateliers à TAE. « Tout le monde peut y arriver assure-t-il, j’ai appris de façon naturelle sans faire les Beaux-Arts ni aucune école ».

Injustice

Henry se bat depuis toujours pour que chacun ait sa place. Sa chance est d’avoir rencontré les bénévoles d’ATD Quart Monde qui partagent les mêmes convictions que lui.

À Noisy-le-Grand, il a le sentiment de combattre l’injustice avec son travail de sculpteur. À travers lui, il transmet la beauté qui fait oublier la souffrance. Face à un tableau ou une sculpture, l’émotion peut submerger et ressourcer. Ces moments-là sont précieux et rares dans le quotidien des personnes en situation de précarité.

« La beauté permet aussi de toucher des gens que l’on ne pourrait rencontrer sinon, assure Henry. Il reste beaucoup de monde en France qui ne connaît pas ATD Quart Monde. Mon travail est un support aux rencontres lors d’expositions où je peux expliquer les missions et combats de l’association. »

Au Centre de promotion familiale, Henry est en charge de la culture. Avec son co-équipier François, ils se sont donnés comme mission d’ouvrir à la culture les personnes hébergées dans le centre. Cela passe par les œuvres exposées à l’accueil où des artistes sont régulièrement invités et par des visites d’expositions afin d’initier les plus jeunes à l’art.

Reconnaissance

À 42 ans, Henry a reçu au printemps la médaille de l’ordre national du Mérite pour son travail de sculpteur. Il a aussi été choisi pour exposer ses œuvres à l’ambassade dominicaine en France. Ce qui le rend très heureux car il s’agit pour lui d’une reconnaissance de toutes les injustices.

« Il y a beaucoup de pauvreté en République dominicaine. J’espère que cette récompense permettra aux politiciens de mon pays de comprendre pourquoi on se bat. En me remettant la médaille, le Président du Sénat a dit : « Je connais ATD et je vous encourage à poursuivre votre travail. » C’est important de toucher ces personnes car elles vous ouvrent des portes. »

En mai 2019, Henry organisera une grande exposition dans la province de Peravia, à Bani, en République dominicaine. « En octobre, j’y retourne afin de préparer l’événement. Je reviendrai alors ponctuellement en France. Durant mon séjour, je souhaite me consacrer à 100 % à ma passion de sculpteur, partager là-bas mon expérience française et tisser des liens plus forts avec mes contacts sur place. » Réfléchir aussi à une autre façon de travailler qui développe la sensibilité et la création artistique et approfondir le lien qui l’attache au bois.

« Le bois n’est pas un objet, mais une matière vivante qu’on doit sentir. Chez moi, des morceaux de bois bruts peuvent rester des mois sans que je les touche. J’attends qu’ils me parlent pour être capable de faire ressortir ce qu’ils m’offrent. »

Géraldine Dao

Photo: Lors d’un atelier au Centre de promotion familiale. ©CM, ATDQM