
Jimmy Langlais, jeune militant Quart Monde : de Lunéville à l’Olympia
Militant Quart Monde à Lunéville (Meurthe-et-Moselle), Jimmy Langlais a lu un texte avec le rappeur Abd al Malik à l’Olympia le 17 octobre 2017 à l’occasion des 60 ans du Mouvement. Un moment inoubliable dans une vie marquée par la précarité.
Bonnet en laine vissé sur la tête, Jimmy Langlais arrive avec dix minutes de retard à notre rendez-vous à la gare de Lunéville (Meurthe-et-Moselle). Il s’excuse : il a croisé un copain qui lui a proposé du travail sur un chantier. » Mais il fallait y aller tout de suite. J’ai dit non et j’ai expliqué que j’allais chercher une journaliste de Paris. »
Jimmy Langlais, 23 ans, est un militant Quart Monde, terme qui désigne, dans le langage du Mouvement, des personnes en situation de précarité engagées dans la lutte contre la misère. Ces temps-ci, il vit avec ce que lui rapportent les petits boulots fournis par son copain, des travaux de démolition essentiellement. Il ira bientôt à la Mission locale » pour mon contrat CIVIS (contrat d’insertion dans la vie sociale), 50 euros par mois de temps en temps « .
Versailles
Malgré le froid humide, Jimmy fait visiter sa ville d’adoption avec application. Là, la place Léopold où les jeune aiment se retrouver, à gauche, la mairie, à droite, Pôle emploi et la Mission locale, plus loin le Château des Lumières, fierté de Lunéville – » on dit qu’il est pareil au château de Versailles mais en plus petit « , indique Jimmy. Il a participé à un chantier d’insertion dans une aile.
Pour s’arrêter, Jimmy suggère le café-brasserie du centre Leclerc, appelé La Tulipe. « Là, j’ai voulu un jour faire un stage mais quand le patron a vu mon adresse… Faut comprendre, c’est comme ça « , ajoute-t-il.
Jimmy habite le quartier Georges de la Tour, un habitat social composé de petites maisons mitoyennes construites autour d’un terre-plein bétonné, où plus aucune lumière ne fonctionne la nuit. » Certains disent que c’est le quartier des gitans et voient ça mal « , confie Jimmy. Lui aime bien son quartier – » tout le monde se connaît « .
Chinchillas
Jimmy Langlais est né à Epinal, dans les Vosges, au sein d’une famille de sept enfants. Le père est maçon, la mère au foyer. » A cause de problèmes « , ses parents le mettent dehors. Il va vivre un temps chez sa grand-mère. Puis il se retrouve à la rue plus de deux semaines.
Un beau-frère, qui l’aime bien, lui fait rencontrer Antonio Gillet, dit » Kozak « , dont la famille a toujours été proche d’ATD Quart Monde. » Il a vu que j’étais un jeune perturbé, il m’a demandé si je voulais descendre avec lui à Lunéville. Et voilà, ça fait maintenant cinq ans que je suis ici. »
C’est par les Gillet que Jimmy a rencontré le Mouvement il y a deux ans. Il vit chez eux, dans le quartier Georges de la Tour. Dans cette famille à la vie difficile, on ne compte pas. La mère, Nathalie, a eu dix enfants. Elle dit que Jimmy est son onzième.
Dans la salle à manger-cuisine où trônent la télé et une grande table recouverte de toile cirée, c’est un va-et-vient incessant. Les grands ont désormais leur logement mais ils ne font qu’y dormir et reviennent. Il y a aussi deux petits-enfants dans leurs poussettes, le chien, les deux chinchillas dans leur cage, une poule domestique…
Cuisine
Jimmy possède un CAP Agent polyvalent de restauration décroché en 2013. » Je regrette pas, c’est toujours ça. Mais je voulais faire autre chose. J’avais mis Maçon en premier, Cuisine en deuxième et Peintre en trois. Quand j’ai eu cuisine, je me suis dit : tant pis, j’ai pas le choix. »
Après son CAP, il enchaîne les stages, envoie des CV à des restaurants. » A chaque fois, pas de nouvelles. J’ai laissé tomber. » Il intègre alors une École de la deuxième chance mais part au bout de six mois. Il a agressé sa référente qui lui avait refusé de changer de groupe : » j’étais dans un groupe qui m’aimait pas, j’avais demandé à aller dans celui de ma soeur (en fait, une fille de la famille Gillet). »
Retour à la Mission locale. En 2017, il bénéficie de la Garantie Jeunes, enchaîne les stages et touche 470 euros par mois. Aujourd’hui, il se demande s’il ne va pas reprendre l’École de la deuxième chance ou alors trouver une formation de maçon. » Au collège, je pensais que ce serait simple… »
Rêve
Avec ATD Quart Monde, Jimmy fait du théâtre-forum sur les discriminations, un thème qui lui tient à coeur. Avec le groupe local, il prépare aussi la prochaine journée familiale du 24 février.
En janvier dernier, pour la deuxième fois, il a participé à un séjour à Briançon organisé par l’association 82-4000, partenaire d’ATD Quart Monde. Ski alpin, raquettes, randonnée avec une nuit au refuge… » Je kiffe d’aller là-bas, c’est beau quand on grimpe. Et ça montre aux jeunes qui restent à la maison tous les efforts à faire … »
Et puis surtout, il y a eu les grands-rendez vous d’octobre 2017. Jimmy a joué à Paris dans la pièce » Un peuple les yeux ouverts « , fresque historique autour du combat contre la misère, et il est monté sur la scène de l’Olympia avec le rappeur Abd al Malik pour lire un texte sur une mobilisation en faveur d’un sans-papier. » Je l’ai fait, c’était même facile… » Et Jimmy rêve tout haut : » Si on peut revenir en arrière, je revivrais ces moments des milliers de fois. »
Véronique Soulé
Photo: Jimmy et Abd al Malik dans les coulisses de l’Olympia lors du concert « Agir en scène » le 17 octobre 2017. ©Carmen Martos, ATDQM