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Jean-Paul Delahaye, l’ascension par l’école

Photo : Jean-Paul Delahaye lors du colloque sur Aider et accompagner les élèves  organisé par les Cahiers pédagogiques en octobre 2010 (DR)

Grandi dans une famille modeste, devenu inspecteur général de l’Education nationale, il a été le numéro deux du ministère sous Vincent Peillon de 2012 à 2014. Aujourd’hui il est chargé d’une mission sur la grande pauvreté et la réussite scolaire.

Jean-Paul Delahaye reçoit «Feuille de route» dans son bureau perché au sixième étage de la rue de Grenelle, dont la fenêtre donne sur l’hôtel de Rochechouart, siège du ministère de l’Education. Toute sa vie s’est ainsi déroulée à l’ombre de l’école, depuis son enfance en Picardie jusqu’aux cabinets ministériels.

Rien ne le prédestinait à connaître les ors de la République. Très tôt, son père quitte la maison. Sa mère se retrouve seule à élever les cinq enfants. Elle fait des ménages chez l’instituteur dont l’épouse lui donne les vêtements trop petits de ses enfants. En dehors des heures de classe, Jean-Paul Delahaye, cadet de la fratrie, vient aider sa mère qui a le vertige. Il grimpe sur l’escabeau pour épousseter les globes accrochés au plafond.

Il n’aime guère s’attarder sur cette enfance modeste que certains brandiraient comme un morceau de bravoure. C’est un homme pudique. En plus, présenté comme un modèle, il ne veut pas servir de caution pour justifier les injustices que notre système scolaire entretient, voire aggrave. «Oui, je suis un produit de la méritocratie républicaine, reconnaît-il, mais en même temps, je ne suis pas dupe. Cette méritocratie a un côté lumineux avec des réussites comme la mienne, mais elle a aussi un côté sombre : tous ces enfants qui ne réussissent pas et que l’on abandonne en ayant bonne conscience parce que l’on en a sauvé quelques-uns.»

A la maison, on croit en l’école. Sa mère, issue d’une famille d’ouvriers agricoles, s’est arrêtée au certificat d’études. «Elle l’a décroché à 11 ans, c’était une élève brillante, souligne-t-il, mais elle n’a pas poursuivi car elle a dû travailler. » Jean-Paul Delahaye est un bon élève que les maîtres remarquent. Alors que son origine sociale le destinait à suivre une filière courte – à l’époque, c’était le cours complémentaire -, encouragé par son instituteur, il poursuit au lycée, qu’il fait à l’Ecole normale d’Abbeville (Somme). Pupille de l’Etat, il est interne et sa bourse finance tout, y compris son argent de poche – «sinon, ça aurait été impossible». «Je me suis toujours senti un peu décalé au lycée, poursuit-il, je côtoyais des enfants de la bourgeoisie et je portais les habits du fils de l’instituteur.»

A la fin du lycée, le directeur lui propose d’entrer au Centre de formation des professeurs du secondaire à l’université. Là encore, il n’a rien à débourser. Après la licence, il décrochera une maîtrise d’histoire. De 1973 à 1982, le voilà prof d’histoire-géo dans un collège de la Somme. Il passe ensuite le concours d’inspecteur de l’Education nationale. Il est nommé à Montdidier (Somme), « la ville de Parmentier, patrie de la pomme de terre», précise-t-il.

Discret et bosseur, cet homme posé et souriant se fait apprécier là où il passe. Le Recteur d’Amiens le recrute comme conseiller pour le premier degré. Il participera plus tard à l’élaboration des programmes du primaire. Il gravit un à un les échelons de l’Education nationale. En 1990, il devient inspecteur d’académie adjoint à Strasbourg. Puis il est nommé à Vesoul, Dijon… La famille suit. Sa femme est institutrice. Son fils deviendra prof de maths – il exerce aujourd’hui dans un collège de l’éducation prioritaire. Seule sa fille « détonne » : elle est architecte-urbaniste.

Le 30 janvier 1999 marque un tournant dans sa carrière. Il reçoit un coup de fil de Claude Allègre, ministre de l’Education de Lionel Jospin. La Seine-Saint-Denis est en ébullition. Face au boum démographique de ce département très pauvre, les écoles manquent de profs et les grèves s’étendent. Jean-Paul Delahaye devient inspecteur d’académie de Seine-Saint-Denis, un poste privilégié pour observer la misère sociale. Il annonce un vaste «plan de rattrapage» avec la création de 3000 postes de profs. En 2001, il est promu inspecteur général, la fonction la plus prestigieuse à l’Education nationale.

Très tôt, il s’est par ailleurs engagé en politique, adhérant au Parti Socialiste à 27 ans, en 1976. A la fin des années 2000, le PS sent qu’il a des chances de revenir au pouvoir et prépare son programme. Jean-Paul Delahaye rejoint l’équipe d’experts sur l’éducation. En 2012, Vincent Peillon devient ministre et il est son bras droit pour mener la «Refondation de l’école». Le but est d’en finir avec un système qui classe et qui trie, et de relancer l’ascenseur social.

Le 11 mai, Jean-Paul Delahaye a rendu son rapport à la ministre Najat Vallaud-Belkacem sur «la grande pauvreté et la réussite scolaire.» Mais il n’en a pas fini pour autant. Il est bien décidé à suivre de près la mise en œuvre de ses recommandations pour que ça change vraiment, et que l’école donne une chance à tous les enfants, y compris aux plus pauvres. C’est un combat qui lui tient à cœur.

Véronique Soulé

Dans son rapport présenté le 12 mai au CESE, Jean-Paul Delahaye demande, parmi 68 préconisations, la revalorisation des bourses – 357 euros par élève par an –, ainsi que celle des fonds sociaux destinés aux enfants en grande précarité – tombés de 73 millions d’euros à 32 millions entre 2002 et 2012. Il recommande aussi d’allouer plus de fonds à l’éducation prioritaire en lui consacrant les économies faites grâce à la suppression du redoublement, et de rééquilibrer les dépenses entre le primaire et le secondaire – la France dépensant beaucoup plus pour le lycée. Le rapport est en ligne sur le site www.education.gouv.fr
Dans son rapport présenté le 12 mai au CESE, Jean-Paul Delahaye demande, parmi 68 préconisations, la revalorisation des bourses – 357 euros par élève par an –, ainsi que celle des fonds sociaux destinés aux enfants en grande précarité – tombés de 73 millions d’euros à 32 millions entre 2002 et 2012. Il recommande aussi d’allouer plus de fonds à l’éducation prioritaire en lui consacrant les économies faites grâce à la suppression du redoublement, et de rééquilibrer les dépenses entre le primaire et le secondaire – la France dépensant beaucoup plus pour le lycée. Le rapport est en ligne sur le site www.education.gouv.fr

«La précarité est l’absence d’une ou plusieurs des sécurités, notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et familles d’assumer leur obligations professionnelles, familiales et sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux. (…) Elle conduit à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, qu’elle devient persistante, qu’elle compromet les chances de réassumer des responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même, dans un avenir prévisible».
Définition votée par le Conseil économique et social le 11 février 1987 sur proposition de Joseph Wresinski, et reprise par l’ONU

1,2 millions

C’est le nombre d’enfants de familles pauvres, soit un sur dix, vivant avec des revenus en dessous de 50 % du revenu médian, ce qui implique des problèmes pour se loger, se nourrir, se soigner correctement. Un chiffre en hausse alors que la France est la sixième puissance mondiale.