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Jaime Solo : « le monde est pauvre parce que l’intelligence des pauvres lui manque. »

Jaime Solo, volontaire permanent d’ATD Quart Monde, a vécu 5 ans avec sa famille au Guatemala, là où ATD Quart Monde mène des actions éducatives et culturelles depuis 25 ans, et a côtoyé au quotidien les personnes qui inspirent les récits rassemblés dans un ouvrage intitulé « Dans les cicatrices des villes » publié en octobre 2015 aux Editions Quart Mode.

Depuis quand ATD Quart Monde est-il présent au Guatemala ?

Les premiers volontaires permanents sont venus en 1979 rejoindre ce peuple du courage et de la lutte. Jaime SOLO (Perez)Ces derniers mots peuvent paraître excessifs. Mais au Guatemala comme partout dans le monde, la vie des pauvres est faite de beaucoup d’accidents, de bras qui cassent, de bouches sans dents, de pleurs de faim ou de honte et il faut beaucoup d’énergie et d’efforts pour faire face. Les volontaires ont rejoint ces familles d’abord en milieu rural, à San Jacinto, Chiquimula et Esquipulas, et ensuite dans les bidonvilles de Guatemala Ciudad. Ce sont de nombreuses années de présence quotidienne, de moments partagés, parfois terribles, parfois plein d’espoir.

D’où est venue l’idée du livre « Dans les cicatrices de la ville » ?

Elle est venue chaque fois qu’on a vu un pauvre humilié à l’hôpital, à l’école ou ailleurs. Chaque fois qu’un bidonville était rasé, chaque fois qu’on ignorait le courage simple des gens qui fait qu’ils se lèvent chaque matin pour aller gagner leur vie. Les membres du Mouvement, témoins de ces histoires, ne peuvent pas se taire. Ils veulent que d’autres découvrent et comprennent ces vies.

L’histoire de ce livre est aussi liée à un événement précis…

Décharge au Guatemala
Décharge de Guatemala Ciudad

Oui. Nous approchions du 35e anniversaire de la présence d’ATD Quart Monde au Guatemala et nous voulions profiter de cette occasion pour faire connaître la vie de personnes rencontrées sur la décharge de Guatemala Ciudad, dans les bidonvilles près de la ligne de chemin de fer, dans les quartiers de relogement. Nous voulions redonner aux gens ce que nous avions appris d’eux et montrer combien le monde est pauvre parce que l’intelligence des pauvres lui manque.

Comment le livre a-t-il été écrit ?

Lorsqu’ils posent un pied dans un quartier pauvre, les membres du Mouvement savent qu’il leur faut d’abord apprendre des gens qui habitent là, et donc garder trace, écrire. C’est ainsi que nous disposons de nombreux écrits de volontaires permanents, d’évaluations d’actions, de témoignages directs des personnes elles-mêmes. Sans cette vie partagée et cette mémoire conservée, le livre n’aurait pas pu être écrit. J’ai vécu pendant cinq années au Guatemala et j’ai vécu beaucoup de moments dans différents lieux. J’ai aussi lu beaucoup d’écrits d’autres volontaires. J’ai prêté ma sensibilité et ma façon d’écrire pour essayer de montrer comment les gens s’efforcent de vivre dans la dignité et la solidarité.

Toutes les nouvelles sont-elles des histoires vraies ?

Tant que j’ai pu, je me suis appuyé sur la mémoire des paroles et des faits. Il ne faut pas avoir peur de dire que ces histoires sont racontées par moi-même. Les vrais acteurs, eux, raconteraient certainement les choses autrement. J’ai essayé seulement d’être vrai, de respecter la dignité des personnes et de traduire la force de leur pensée.

Quelles nouvelles vous ont le plus marqué et pourquoi ?

En écrivant le livre et en le relisant, j’ai beaucoup pleuré. J’ai mesuré combien je connaissais mal les gens 100316 Guatemala - 105alors que je me croyais savant. J’ai mesuré la patience qu’ils ont eue pour m’apprendre des choses. Je me suis rendu compte de la quantité de jeunes et de moins jeunes que nous avons enterrés à Guatemala Ciudad en l’espace de cinq ans. J’ai mesuré ce que, dans notre égoïsme et notre ignorance, nous faisons subir aux pauvres. La misère est violence, elle fracasse des vies et tue en grand nombre. Dans le livre, les nouvelles qui témoignent de la mort des gens par la misère me font mal et me ramènent à l’urgence de notre combat solidaire.
Un court récit raconte l’histoire d’une jeune femme hébergée par d’autres lorsque les temps sont trop durs. C’est une histoire simple, mais qui remet le lecteur face à lui-même : quel respect accordons-nous à l’autre, en particulier s’il est très pauvre ? Comment arriver à dépasser l’indifférence ou la peur qu’il nous inspire ?
J’aime beaucoup les nouvelles qui parlent de la vie quotidienne des gens et qui montrent leur grandeur, leur capacité à créer, à travailler, à inventer, à être solidaires des leurs et des autres.

Propos recueillis par Jean-Christophe Sarrot


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