
Jacques Stebel, l’art de transmettre
Jacques Stebel : « Je n’aime pas commander les autres. On s’est appris mutuellement. C’est important de transmettre. » (ph. Édouard Sepulchre).
Jacques Stebel est désormais à la retraite, après 49 années de vie professionnelle. Pendant les onze dernières, il a participé à l’invention d’une entreprise à part, TAE.
Jacques Stebel, bientôt 64 ans, agent de maintenance informatique jusque fin 2013, est à la retraite depuis le 1er janvier. Après 49 ans de vie professionnelle, trois CAP et seulement une année de chômage sur ce presque demi-siècle. Une vie professionnelle qui, du Sud-Ouest de la France à la région parisienne, a connu des hauts, des bas… et une grande aventure.
Du côté des hauts, il y a ce poste de chef de station à la RATP. « J’ai travaillé un an, à la station Champs Élysées. C’était la belle vie. Je touchais 8000 francs par mois… » Il y a aussi, sept ans plus tard, la fierté de terminer major de promotion pour son troisième CAP, magasinier polyvalent gestionnaire avec informatique, obtenu avec les honneurs du jury. « C’était en 1988, j’avais 38 ans, les autres élèves, 19-20 ans. » Il y a encore ce moment où, alors qu’il est salarié du service après-vente de Conforama, on lui propose le poste de chef d’atelier. « Mon travail était apprécié. Mais je n’ai pas voulu le poste. Je n’aime pas commander les autres », commente-t-il.
Du côté des bas, il y a eu les deux maladies professionnelles (vertèbres abîmées et allergie au ciment) qui, après neuf années d’activité, ont empêché le jeune Jacques de continuer à travailler dans le bâtiment malgré ses deux CAP (maçon, puis peintre). Changement de cap donc, mais nouveau coup dur : le licenciement après l’année passée à la RATP, à quelques jours de l’embauche définitive. « C’était en 1981. Ils nous ont dit qu’ils avaient recruté et formé trop de monde. 380 personnes, embauchées comme moi depuis moins d’un an, ont été licenciées », se rappelle Jacques. Les boulots se succèdent… « À des moments, je prenais tout ce qui venait, l’interim, tout… » Puis il y aura le CAP brillamment obtenu, immédiatement suivi par l’emploi chez Conforama à Noisy-le-sec, où il restera neuf ans. Mais c’est côté vie personnelle que cela se gâte : des impayés de loyer, la perte de sa studette… Et c’est la rue pendant presque deux ans. Ce qui n’empêche pas Jacques de conserver son emploi. « Je couchais dehors. Mais je connaissais un patron de café, je pouvais aller y faire ma toilette le matin. » Finalement, l’entreprise déménage, avec à la clé, un nouveau licenciement.
Restent les rencontres. Un ami qui l’héberge lui présente celle qui est toujours sa compagne, qui elle-même lui fait connaître ATD Quart Monde. « Là, une personne m’a proposé de tester un projet. Nous étions deux salariés en contrat emploi solidarité et un encadrant. » C’était en 1999, à Noisy-le-Grand, les prémices de ce qui allait devenir l’entreprise TAE (Travailler apprendre ensemble www.ecosolidaire.org), finalement créée en 2002. « C’est une grande aventure, TAE. Démarrer de zéro, il fallait y aller ! », sourit Jacques. Aujourd’hui TAE compte une vingtaine de salariés et trois activités : reconditionnement et revente d’ordinateurs d’occasion, travaux de second œuvre dans le bâtiment, ainsi que nettoyage. Les trois pionniers avaient mis un an à reconditionner 350 ordinateurs fournis par Auchan Lille. Aujourd’hui, ce sont plus de 2000 machines, fournies notamment par EDF, qui sont remises en service chaque année par la dizaine de personnes de l’atelier informatique. Et Jacques de faire visiter les lieux, un immense hangar aux structures métalliques jaunes où des unités centrales s’empilent sur des palettes, mais aussi des salles de réunion, une cuisine… Surtout, il en vante l’organisation, unique : « TAE est une entreprise à part, avec beaucoup de réunions de travail et beaucoup de sorties en famille ! ».
Une fois par semaine, une réunion permet d’organiser la production : « À l’atelier informatique, il n’y a jamais eu de chef. Pendant la réunion, nous décidons ensemble. Et chacun prend ses responsabilités. Les salariés sont embauchés en CDI. C’est avec notre travail qu’on paie nos salaires, il est important qu’on ait toujours des commandes ! », insiste-t-il. Et si Jacques n’aime pas « commander », il aime bien « conseiller ». « Comme tous les collègues savent que je suis le plus ancien, ils viennent automatiquement me demander conseil », reconnaît-il. Dans cette entreprise qui mêle des personnes ayant connu la grande pauvreté et d’autres non, tout nouveau venu travaille en binôme avant de se lancer seul, quand il se sent prêt. « Le nom « Travailler Apprendre Ensemble » reflète bien ce que l’on fait ici, reprend Jacques. Au début, on a appris en tâtonnant, on s’est appris mutuellement. Puis, au fil des ans, j’ai transmis aux autres. C’est important de transmettre. »
Pourtant, ce qui distingue le plus TAE des autres entreprises, selon Jacques, ce sont… les sorties ! « On parle des spectacles et sorties en réunion. Des salariés sont chargés de faire des propositions, ensuite chacun choisit et on y va tous en famille : cela crée des liens très forts. Tous les ans, nous partons un week-end à la mer ou dans une région de France. En 2005, nous sommes allés trois jours à Londres. On va au cinéma, au théâtre, à l’opéra… On a vu Carmen. Quand on raconte ça aux gens, ils nous disent : vous êtes riches ! Mais c’est TAE qui paye et nous versons une participation de 1 euro. »
Difficile dans ces conditions de partir à la retraite ? « Je suis content, avoue Jacques. J’étais fatigué. Mais je reviens deux fois par semaine… comme bénévole ! » Histoire de trier des dizaines de photos qui permettront de retracer l’histoire de TAE… De jeter un coup d’œil au potager qu’il a contribué à créer. Ou de donner un coup de sécateur aux rosiers plantés il y a maintenant douze ans. L’âge de TAE.
Marie Bidault
Appel à soutien
Outre les activités décrites ci-dessus, TAE compte un « pôle innovation » qui met en forme l’expérience acquise et la diffuse auprès de partenaires institutionnels et du monde économique. Bien que l’activité de ce pôle n’ait pas faibli en 2013, son financement a été difficile et cela met actuellement en péril la trésorerie de l’entreprise, alors que les perspectives d’activité sont bonnes par ailleurs.
Vous pouvez aider TAE à passer ce cap en adressant votre soutien financier et le coupon ci-joint à Fondation ATD Quart Monde, 33 rue Bergère, 75009 Paris (en mentionnant « Soutien à TAE » sur l’enveloppe).
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