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Isabelle Bouyer : rapprocher le temps des institutions et celui des personnes

Isabelle Bouyer, alliée d’ATD Quart Monde en Champagne-Ardenne, est responsable d’un pôle d’action sociale à la Mutualité Sociale Agricole (MSA). Elle représente ATD Quart Monde au comité de pilotage national des États généraux du travail social.

Photo Coline Bouyer
Photo Coline Bouyer

Pourquoi ces États généraux sont-ils à vos yeux nécessaires ?
Les travailleurs sociaux ressentent un malaise énorme depuis des années. Des réductions de budgets touchent de nombreux postes et de nombreuses actions. Par exemple, les mesures d’accompagnement pour soutenir les familles en difficulté qui accèdent pour la première fois à un logement n’existent presque plus dans certains départements. Ces choix budgétaires sont des choix politiques à courte vue, car leur coût sur le long terme est très important. Les politiques sociales actuelles ont plus comme effet de colmater des brèches une fois que des catastrophes se sont produites chez des familles, que de faire de la prévention.
Est-ce partout pareil ?
Non. La décentralisation de l’action sociale dans les départements a créé des inégalités de traitement selon les territoires. Dans certains services, on aide les gens à remplir leurs dossiers administratifs, dans d’autres non. Autre exemple, certains conseils généraux ont compris les dégâts causés par des placements d’enfants trop rapides et expérimentent des alternatives qui portent leurs fruits. Ailleurs, on place en se posant moins de questions. Dans une ville du Nord-est, il existe une rue où habitent plus de 100 enfants placés !
Quelles sont les attentes d’ATD Quart Monde par rapport à ces États généraux ?
Pour mettre en œuvre des solutions qui fonctionnent, il faut les imaginer avec les personnes concernées. La « participation des usagers » apparaît maintenant dans toutes les politiques publiques. Mais une participation « représentative » ne suffit pas. Il faut une représentation « délibérative », où les gens sont associés à la réflexion et aux décisions. Pour cela, il faut un travail social qui crée du lien entre les gens, qui crée des collectifs d’appartenance et permet de réfléchir et d’agir ensemble.
On connaît aujourd’hui des outils qui permettent cette participation effective…
On les connaît (voir ci-dessous). Mais qu’en fait-on sur le terrain ? Les résistances viennent plus des structures et des institutions que des travailleurs sociaux. Les conseils généraux financent essentiellement des accompagnements individuels de bénéficiaires d’aides sociales et non des actions collectives. Ces dernières sont rares et consistent surtout en des ateliers occupationnels ou d’enseignements divers et variés, sous prétexte que les gens ne seraient pas employables. Le travail social manque d’un projet global qui miserait sur l’intelligence de tous pour résoudre les problèmes. Et cela devrait s’apprendre dès la formation initiale, ce qui n’est pas le cas.
Il faudrait donc changer aussi son financement…
Oui, pour rapprocher le temps des institutions et celui des personnes. Dans les Universités populaires Quart Monde, les gens disent que l’on y prend le temps de parler et de comprendre. Les conditions d’expression et d’écoute y sont exceptionnelles, parce que l’on prend le temps d’écouter les points de vue des uns et des autres à égalité et de les confronter. On en tire un savoir nouveau qui est commun. C’est cela qui permet une transformation de la société. Si l’on veut que les gens soient acteurs, il faut du temps et il faut travailler ensemble avant que les catastrophes ne bousculent leur vie.
Quelle liberté d’agir les travailleurs sociaux ont-ils ?
Certains font des choses formidables. Mais beaucoup aussi se sentent seuls et ne retrouvent pas les valeurs auxquelles ils croient dans le travail qu’on leur demande. Il est très difficile quand on est seul de faire bouger des choses. Il faut d’abord convaincre ses collègues, son milieu professionnel. J’encourage tous ceux qui le peuvent à lancer des journées de réflexion, à inviter des intervenants extérieurs pour des conférences, à demander à être formé à de nouvelles pratiques, bref à se questionner sur le sens de sa pratique professionnelle…
Si ces États généraux réfléchissent aux finalités du travail social, vont-ils aussi réfléchir aux moyens à mettre en œuvre ?
Je le souhaite vivement, mais je ne sais pas.
JCS

Des pratiques innovantes pour renouveler le travail social
Voici quelques références :
– le dossier documentaire « La participation des personnes en situation de pauvreté : un enjeu démocratique », Angers, CNFPT, 2012, sur http://bit.ly/1p5kLoS
– la pédagogie du croisement des savoirs et des pratiques, mise au point par ATD Quart Monde (voir www.croisementdessavoirs.org)
– le rapport « Recommandations pour améliorer la participation des personnes en situation de pauvreté et d’exclusion à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques publiques » du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE, 2011)
– le livre « Faire participer les habitants ? Pauvreté, citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires », par Marion Carrel (ENS éditions, 2013), 270 pages, disponible en librairie
– le rapport « Pour une réforme radicale de la politique de la ville. Ça ne se fera plus sans nous », par Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache (2013), disponible sur http://bit.ly/1dKTBQu
– l’intervention « De la participation au pouvoir d’agir : pouvoir penser ensemble » de Bruno Tardieu (ATD Quart Monde), sur www.atd-quartmonde.fr/brunotardieu/?p=193 Voir aussi www.pouvoirdagir.org

Sur la photo : le 27 mai 2014, Université populaire Quart Monde de Champagne-Ardenne sur le thème « Travailleurs sociaux et personnes en situation de pauvreté : partenaires ? » (photo Ludovic Legrand)