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Intervention de Pierre Saglio au forum mondial des droits de l’homme

Nantes, le 3 juillet 2008

Nous arrivons au terme de ce troisième forum mondial des Droits de l’Homme et je voudrais tout d’abord remercier celles et ceux qui ont été à l’initiative de ce forum et celles et ceux qui ont travaillé pour sa réalisation. Nous mesurons tous, je crois, l’importance et l’enjeu d’une telle rencontre. En ce qui nous concerne, à ATD Quart Monde, en tout cas, soyez certains qu’elle nous conforte et nous renforce dans le combat que nous menons pour une démocratie qui n’abandonne personne parce que toujours plus enracinée dans les Droits de l’homme.

Cette année, vous avez souhaité centrer la réflexion sur le passage « des principes universels à l’action locale », aussi je voudrais dire quelques mots sur ce qu’une ONG comme ATD Quart Monde a appris d’une gouvernance locale enracinée dans les droits de l’homme. Il l’a appris à partir du combat quotidien des plus pauvres et de ceux qui sont à leurs côtés pour le respect des Droits de l’homme.

 

1) Le combat pour les droits de l’homme est un combat collectif, un outil de mobilisation commune, de mobilisation civique.

 

S’unir

Les droits fondamentaux, garants de notre égale dignité de citoyens, ne peuvent être effectifs pour tous sans une mobilisation civique et collective que la gouvernance locale doit susciter, soutenir, encourager, développer. Le 17 octobre 1987, Joseph Wrésinski, après avoir rappelé, dans son appel aux défenseurs des droits de l’homme, que la misère est une violation de ces droits appelait à s’unir. S’unir pour que ces droits soient respectés, s’unir pour que les hommes condamnés à vivre l’intolérable de la misère, soient respectés. Et il ajoutait : « s’unir est un devoir sacré. »

Non pas, un plus, non pas une option ; s’unir : une obligation exigeante sans laquelle on ne gagne pas la bataille de l’effectivité des droits avec ceux qui souffrent le plus de leur violation. Oui les droits de l’homme sont notre responsabilité collective et ils exigent notre unité.

Par notre responsabilité civique, nous encourageons ou nous empêchons le respect des droits fondamentaux pour tous. Il y a quelques semaines, un drame s’est passé dans une des cités où nous sommes présents. Une petite fille jouait avec ses copines dans un appartement muré de la cité où elle habite, elle est tombée de la fenêtre et elle est morte. Or cela fait des mois que les logements de cette cité doivent être démolis et ses habitants relogés mais les tentatives de relogement échouent les unes après les autres car à chaque fois les habitants des quartiers envisagés se lèvent pour refuser les projets. Cet exemple montre bien que notre action civique favorise ou empêche la mise en oeuvre des droits pour les plus fragiles. Les droits de l’homme ne sont pas des droits individuels. Leur mise en oeuvre est une responsabilité civique qui incombe à chacun. La gouvernance locale soutiendra toutes les initiatives citoyennes qui visent à s’unir pour faire respecter les droits de tous, en particulier des plus fragiles.

Se rencontrer

Cette responsabilité civique se vit dans la rencontre, en particulier entre citoyens victimes des violations de ces droits et d’autres qui ne le sont pas. Cette rencontre, qui doit être préparée avec soin, permet de conjuguer réellement fraternité avec liberté et égalité. Mais elle est exigeante, elle nécessite des conditions, un savoir-faire, une volonté farouche de la promouvoir en permanence. C’est dans cet esprit que nous appelons à la création de comités « solidaires pour les droits » chaque fois que nécessaire pour s’unir avec celles et ceux dont les droits sont bafoués.

La gouvernance locale peut et doit favoriser ces rencontres, organiser la cité pour qu’elles créent et s’appuient sur ces lieux où la rencontre est possible, attendue, encouragée. Trop souvent aujourd’hui, soit on maintient le cloisonnement, soit on limite la contribution des pauvres au seul « témoignage » sans ambition d’un réel partenariat de pensée et d’action.

 

2) Les droits de l’homme repère d’une démocratie dont les choix d’avenirsont pensés, mis en oeuvre et évalués avec tous, y compris les plus éloignés du droit.
L’effectivité des droits est un combat qui peut et doit être le repère de nos avancées ou de nos reculs en démocratie. Ce repère se concrétise plus particulièrement de deux manières : le refus de l’abandon et l’exigence du droit pour tous.


Le refus de l’abandon

Il n’y a pas 36 possibilités pour refuser l’abandon des plus fragiles. Le seul, à mon avis, nous est donné par le Conseil Economique et Social de la France qui l’a d’ailleurs gravé dans le marbre pour en faire sa devise : « Considérer les progrès de la société à l’aune de la qualité de vie du plus démuni et du plus exclu, est la dignité d’une Nation fondée sur les droits de l’homme».

Les plus pauvres ont beaucoup à nous apprendre sur l’art et la manière de n’abandonner personne. Ils y veillent constamment car ils courent régulièrement ce risque, eux-mêmes. Ils savent la patience pour tisser la confiance avec celui qui a été trahi toute sa vie, humilié dans la rencontre avec d’autres, dépossédé constamment de sa réflexion au point qu’il est convaincu parfois qu’elle est sans valeur. Le refus de l’abandon, c’est non seulement le refus que les politiques ne bénéficient pas à tous, mais c’est aussi le refus qu’elles soient sans cesse pensées, conçues, mises en oeuvre sans le concours des plus éloignés du droit. La gouvernance locale veillera à introduire, dans le suivi et l’évaluation des politiques publiques, la mesure de leur impact sur les plus fragiles pour en faire le repère du bien fondé ou non de ces politiques. L’exigence du droit pour tous Ne disons pas que nous sommes « égaux en dignité et en droits » tant que ceux-ci ne sont pas respectés. Ne disons pas que l’homme qui dépend de tout et de tous pour sa survie quotidienne et pour quantités de décisions a la liberté de penser et d’opinion. Ne disons pas que les politiques ou les pratiques qui obligent d’autres à vivre ce que nous n’accepterions jamais pour nous-mêmes sont des politiques de droit commun. Qui, parmi nous, accepterait par exemple de devoir, année après année, nourrir sa famille en dépendant des distributions alimentaires qui, parfois même, servent de prétexte à refuser d’augmenter les revenus de droit que sont les minimas sociaux ? Nous sommes le 2 juillet. Hier, le SMIC a été augmenté, les indemnités de chômage ont été augmentées. Mais le RMI, pourtant d’un montant très faible et seul revenu de droit pour beaucoup, ne l’a pas été, ce qui nous scandalise. Au lieu de cela, le gouvernement a doublé les subventions qu’il verse pour assurer les distributions alimentaires dans notre pays. La gouvernance locale refusera de mener ces politiques qui ne renforcent pas le droit commun, qui ne conduisent pas en permanence le plus éloigné du droit vers le droit commun.

Nous n’oublions pas que nous allons fêter, en France le 29 juillet prochain, les 20 ans de la loi d’orientation contre les exclusions dont l’ambition était de faire de cette lutte « la priorité de l’ensemble des politiques publiques » en visant que tous accèdent aux droits de tous.

Nous sommes, pour notre part, convaincus que la mise en oeuvre des droits fondamentaux, guidée par ces quelques repères que je viens de rappeler, est chemin de paix, porteuse de la paix que nous pouvons et devons construire, chacun à notre place, individuellement et collectivement.

Pierre Saglio, président d’ATD Quart Monde