
Interruption d’un versement d’AAH : « En attendant, je vis avec quoi ? »
L’histoire vraie de Jeanne L. qui perçoit une allocation adulte handicapé (AAH) depuis 2004. Elle a déposé sa demande de renouvellement début août 2013. Mais le versement de l’allocation s’est interrompu en novembre, sans explication. Voici ce qui a suivi.
6 décembre. Jeanne s’aperçoit que le virement de 790 € pour le mois de novembre n’est pas arrivé. C’est la caisse d’allocations familiales qui verse cette prestation qu’elle reçoit de la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées). Jeanne téléphone à la MDPH qui répond que le dossier envoyé en août était incomplet. En réalité, c’est seulement la case « AAH » qui n’a pas été cochée. Jeanne envoie une lettre recommandée autorisant la MDPH à cocher la case à sa place.
9 décembre. Afin de faire face aux dépenses de novembre et décembre, Jeanne rencontre son assistante sociale qui sollicite un secours auprès du Secours Catholique et lui conseille de demander un secours d’urgence au centre communal d’action sociale, ce que Jeanne fait le jour-même. Ce « secours d’urgence » ne lui parviendra que deux mois plus tard, le 3 février 2014.
11 décembre. La banque de Jeanne accepte de lui avancer le montant du loyer et des charges de son appartement pour décembre.
14 janvier 2014. L’assistante sociale fait une demande de RSA en attendant le rétablissement de l’AAH. Elle conseille aussi à Jeanne d’aller à la banque pour faire opposition à tous ses prélèvements automatiques. Elles appellent ensemble le bailleur social pour expliquer la situation et le faire patienter.
15 janvier. Jeanne demande à son assurance de décaler son échéance. Sans nouvelles de la MDPH et de la CAF, elle rencontre un médiateur à la Maison du droit et de la justice qui appelle la CAF sans pouvoir obtenir d’explications. Il adresse un courrier à la CAF.
17-18 janvier. Jeanne participe à une réunion à Paris avec le mouvement ATD Quart Monde et fait part de ses difficultés. Deux membres d’ATD Quart Monde proposent pour l’un de contacter la directrice d’une autre MDPH qu’il connaît et pour l’autre de consulter un avocat afin d’obtenir le rétablissement rapide des droits de Jeanne.
20 janvier. Jeanne doit voir son médecin. Lorsqu’elle lui explique qu’elle ne peut pas le régler immédiatement et lui demande s’il peut attendre jusqu’au mois suivant, il répond : « Je ne fais pas crédit ».
27 janvier. Un comité « Solidaires pour les droits »(1) s’est constitué autour de Jeanne. Un membre du comité rappelle la MDPH à plusieurs reprises. Une employée répond qu’un rendez-vous est fixé le 19 février avec le médecin de la MPDH, car il semble manquer des éléments médicaux dans le dossier de Jeanne.
30 janvier. Première rencontre avec l’avocat qui a accepté de défendre Jeanne. Il envisage un recours auprès du Tribunal administratif en raison de l’atteinte aux droits fondamentaux que constitue le fait de priver brutalement une personne de toute ressource. Il informe la MDPH qu’il a été sollicité par Jeanne pour une action en justice. Il propose à Jeanne de demander l’aide juridictionnelle pour qu’un huissier adresse une injonction de payer à la MDPH.
La directrice de l’autre MDPH contactée prévient ATD Quart Monde qu’elle a eu confirmation par la MDPH de Jeanne que les droits étaient rétablis en attendant l’étude du renouvellement du dossier et que ces droits n’auraient jamais dus être suspendus.
31 janvier. Un membre du comité appelle la médiatrice de la CAF afin de s’assurer de la date du versement de l’AAH. La médiatrice ne trouve aucune trace d’un prochain versement d’AAH et confirme que le droit est toujours suspendu. Le membre du comité insiste auprès de la médiatrice pour qu’elle joigne un cadre de la CAF et que les versements de l’AAH reprennent début février, sans quoi le comité contactera la presse locale et mènera une action en justice.
8 février. Le versement de l’AAH est enfin rétabli – jusqu’à avril. La visite médicale prévue le19 février (mais reportée début mars pour cause d’envoi de la convocation à une mauvaise adresse) permettra ensuite l’étude d’un renouvellement de l’AAH de Jeanne pour la suite. Entre temps, elle aura dû verser 156 euros de frais bancaires à sa banque, effectuer d’innombrables démarches administratives, remplir des dossiers de demandes de secours d’urgence humiliants et demander à sa fille de l’héberger, car Jeanne risquait de subir des coupures de gaz, d’eau et d’électricité. Sa santé s’est fortement dégradée durant cette période. La couverture de sa mutuelle s’est interrompue car elle n’a pas pu payer les échéances de décembre et janvier.
Le comité solidaire a décidé de prendre rendez-vous avec les directions de la CAF, de la MDPH et du Conseil Général dans le but que de telles difficultés ne se reproduisent pas pour Jeanne, ni pour d’autres personnes sur le territoire. À ce jour, seul le Conseil Général a reçu le comité solidaire.
« Je n’ai pas envie d’être une charge, dit Jeanne. Comment font les gens qui n’ont pas de famille, d’amis ou d’association pour les soutenir ? Avec tout ce que j’ai déjà vécu, je n’en peux plus. »