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Débat public : « Il y a un mot pour racisme, un pour sexisme, et rien pour la pauvreté: pourquoi ? »

Les Rencontres 2015 «Stop aux idées fausses sur les pauvres» se sont achevées dimanche 31 mai au Nouveau Théâtre de Montreuil par un débat sur la précarité et les discriminations qu’elle entraîne. ATD Quart Monde se bat pour qu’elles soient reconnues par la loi tout en sachant que cela ne résoudra pas tout d’un coup de baguette magique. «Ce sera le début d’un combat», a même prédit le président du mouvement Pierre-Yves Madignier.

«Ne pas avoir de logement ni d’adresse, c’est une discrimination»

Tony Jacques, militant d’ATD Quart Monde, est au RSA et vit dans un centre d’accueil. Récemment, il a postulé à une formation dans la restauration rapide. Mais dans son centre, il ne reçoit pas le courrier. Alors il n’a pas eu de réponse de Pôle emploi. «C’est une discrimination de ne pas avoir de logement à mon nom et de ne pas avoir d’adresse», dit-il.

Doris Mary, militante elle aussi, évoque toutes les rencontres humiliantes qu’elle a dû subir. Elle vit dans une maison relais de l’association «Habitat et Urbanisme». Récemment, elle est allée voir un médiateur, accompagnée par une bénévole. Le médiateur ne s’est jamais adressé à elle, mais uniquement à la personne qui l’accompagnait. «Déjà je n’ai pas confiance en moi, confie-t-elle, mais là je suis arrivée boiteuse et je suis sortie fracturée».

Colette Théron, une militante encore, lit ce témoignage à haute voix : une mère fait suivre un traitement orthodontiste à son fils. Un jour, sa situation bascule et elle se retrouve à la CMU (la couverture maladie universelle). Alors qu’elle a rendez-vous chez le dentiste, elle en informe le secrétariat. Le dentiste arrive dans la salle d’attente et devant tout le monde, il lui dit que, ne prenant pas la CMU, il ne pourra plus soigner son fils. Et il l’envoie à l’hôpital.

«Comme si les pauvres étaient pour quelque chose dans leur situation»

Le débat, intitulé ««Les pauvres sont traités comme tout le monde.» Sans discrimination ?», a ainsi été émaillé d’exemples concrets montrant tous une chose : la précarité engendre de nouvelles injustices qui aggravent encore la situation des personnes concernées.

«Tout se passe comme si les pauvres étaient pour quelque chose dans leur situation», a déploré à la tribune Djaouida Séhili, qui est co responsable de la chaire et du master «Egalité, inégalités et discriminations » à l’Université de Lyon 2. «On ne peut être l’égal de l’autre quand on est pauvre», a-t-elle poursuivi, expliquant que pour en finir avec les discriminations, il fallait «d’abord lutter pour l’égalité».

«Il faut d’abord définir la précarité»

La discussion, modérée par le journaliste de Libération Tonino Serafini, spécialiste de ces questions, a aussi largement porté sur le combat juridique que mène ATD Quart Monde. Le mouvement soutient une proposition de loi qui ajoute la précarité sociale parmi les critères reconnus de discrimination. Le texte va être présenté au Sénat le 18 juin. Il devra passer ensuite devant l’Assemblée nationale.

Alors que son adoption semble sur la bonne voie, l’adjoint au Défenseur des droits, Patrick Gohet, a jeté un trouble dans l’assistance. Il a expliqué à la tribune qu’avant cela, il fallait d’abord bien définir juridiquement ce qu’était la précarité sociale – «est-ce une situation ou une caractéristique ?», s’est-il interrogé.

Il a justifié sa position par un souci d’efficacité. «Il ne faudrait pas que ce texte connaisse le même sort que la loi de 2005 sur le handicap qui, dix ans après, n’est appliquée qu’à moitié», a-t-il plaidé. Il faut dire que cette loi impose notamment à tous les bâtiments recevant du public d’être accessibles aux personnes handicapées, ce qui suppose souvent de lourds et coûteux aménagements.

«Une loi pour faire aussi évoluer les mentalités»

«L’effectivité du droit est importante», a reconnu Pierre-Yves Madignier. Puis il a rappelé que certaines situations étaient inacceptables. Face à cela, «nous sommes convaincus qu’il faut cette loi et que le combat commencera alors. Car nous ne sommes pas naïfs. Mais nous avons besoin de cette étape-là aujourd’hui ». Une telle loi, a-t-il poursuivi, «peut aussi éduquer et faire évoluer les mentalités.» Le président d’ATD Quart Monde France a conclu en appelant à «l’engagement citoyen».

«Comment expliquer que l’on ait déjà adopté, dans la loi, 20 critères de discrimination et que la précarité arrive seulement en 21ème place ?, s’est alors exclamée Djaouida Séhili, comment expliquer que l’on a un mot pour le sexisme, un autre pour le racisme, et que l’on n’en pas pour la pauvreté ? Soit il s’agit d’un oubli, soit cela renvoie à la façon dont on regarde la pauvreté».

Véronique Soulé